Attendue avec une brique et un fanal par bien des gens, Wicked, cette adaptation cinématographique à la fois de la réputée comédie musicale de Broadway du même nom, mais aussi du roman Wicked: the Life and Times of the Wicked Witch of the West, risque d’impressionner même les plus sceptiques. De quoi, peut-être, sortir de l’ombre du Magicien d’Oz, classique intemporel s’il en est un.
Source créative qui semble sans fin quant à ses déclinaisons, l’univers d’Oz a eu droit à de nombreuses vies, y compris plusieurs particulièrement inusitées.
Parmi ces dernières, on trouve la comédie musicale très moderne The Wiz (sur scène comme à l’écran), ou encore la série télévisée Emerald City, sous la gouverne du réalisateur Tarsem, malheureusement annulée après une saison.
Si Wicked, cette nouvelle création pas très originale avouons-le, arrive ici avec un bagage non négligeable, en plus d’être un peu trop ambitieuse, notamment du côté des effets spéciaux par ordinateur, force est d’admettre que le réalisateur Jon M. Chu s’en sort beaucoup mieux ici en racontant la genèse des sorcières Glinda et Elphaba que Sam Raimi et son oubliable Oz: The Great and Powerful, qui s’attardait plutôt au personnage du magicien.
C’est que Chu roule sa bosse depuis plusieurs décennies, et s’il n’a jamais caché son intérêt pour la musique (ses premiers films étaient les suites de la franchise à succès Step Up et il a aussi signé deux documentaires consacrés au chanteur Justin Bieber), le réalisateur a certainement parfait son art avec l’impressionnante adaptation d’In the Heights, basé sur la comédie musicale du même nom, dont il renoue ici avec la directrice de la photographie Alice Brooks, mais aussi le monteur Myron Kerstein.
Embauché à nouveau par Universal, refaisant équipe avec Michelle Yeoh, à qui il avait confié un rôle impérial dans son Crazy Rich Asians, le réalisateur visionnaire arrive avec toute son expertise pour en mettre plein la vue. Tout l’inverse d’un certain Cats du même distributeur.
Contrairement à ses campagnes promotionnelles qui semblent adopter le mouvement risible du camouflage, de peur de perdre des spectateurs (et des gains potentiels), le long-métrage assume d’emblée qu’il est à la fois une comédie musicale, mais aussi qu’il s’agit bel et bien d’une première partie. Pas question de revenir en arrière, ou de ne pas assumer que des chansons guideront tout le film (comme les récents Mean Girls et Wonka, au grand dam des spectateurs une fois rendus dans la salle).
C’est principalement cette assurance, très frontale, de tous ceux impliqués dans le projet d’ailleurs, qui rassure assez rapidement, n’en déplaise à une introduction qui fait un peu peur, avec ses effets spéciaux ambigus et ses chorégraphies plutôt limitées.

Le tout s’améliore considérablement une fois passé ce prologue, fort heureusement.
Surtout parce que la flamboyante distribution semble continuellement rivaliser de plaisir pour se voler la vedette. Cela se fait sentir par l’investissement majeur de ses deux interprètes principales, la sublime Cynthia Erivo et la désopilante Ariana Grande, autant en jeu qu’en voix.
Mais les autres acteurs ne sont pas en reste. En plus de Yeoh, Jeff Goldblum est comme toujours délectable et impossible de ne pas s’esclaffer aux apparitions de Bowen Yang, ou de Jonathan Bailey, qui non seulement impressionne à la danse, mais aussi par la fraîcheur de sa performance qui rappelle l’autodérision des princes de Chris Pine et Billy Magnussen dans l’adaptation cinématographique de la comédie musicale Into the Woods.
Le temps passe plus vite que prévu, puisque les chansons qui ont plus de vingt ans sont excellentes; que le rythme est assuré face à des revirements qu’on suit avec attention; que la musique de John Powell est franchement réussie, avec un petit air des années 1990; mais aussi parce que visuellement, le tout est souvent très riche et inventif.
On pense à bon nombre des numéros musicaux qui, si certains angles et certaines coupes de montage sont plus discutables, offrent une démonstration épatante de costumes époustouflants, de couleurs vives et de formes qui repoussent les limites de l’imagination. Sans compter ces immenses chorégraphies et ces foules que Chu sait capter sur pellicule comme personne.
L’arrivé à Oz, pendant que tous entonnent One Short Day, risque d’en marquer plus d’un.

Certes, l’ensemble n’est toutefois pas sans faille. Doubler la durée initiale et nous offrir seulement la moitié d’une oeuvre devant s’étendre sur près de trois heures est une démarche qui a ses forces, mais aussi ses faiblesses.
Avec le talent de ses interprètes, on s’investit certainement dans le développement plus approfondi des personnages et la complicité entre Erivo et Grande fait des flammèches. Par contre, tous les développements ne sont pas nécessaires et on aurait pu couper un peu plus dans le gras entre les numéros musicaux, qu’on attend pourtant avec impatience.
D’autant plus que si l’ostracisation des animaux parlants est pleinement actuelle et bien développée, tout ce qui relève de l’ordre scolaire fait plutôt penser à du sous-Harry Potter.
Il ne faut cependant pas bouder son plaisir. Il s’agit ici d’une production de qualité qui montre tout le soin qu’on y a apporté, histoire de s’assurer que ce soit bien fait. Et le résultat est à l’avenant. Il s’agit du genre d’offrande qui aurait pu et qui aurait dû d’ailleurs sortir en pleine période des Fêtes, pour ravir les grandes familles en vacances.
Car cette montagne russe d’émotions et de flamboyance a cette qualité rare de bien nous divertir et de s’avoir comment s’y prendre, d’impressionner et, principalement durant les derniers instants de l’inévitable et bouleversante Defying Gravity, nous faire frissonner.
7/10
Wicked prend l’affiche en salle ce vendredi 22 novembre.