La cinéaste Claire Burger était présente à Montréal, samedi dernier, pour présenter son plus récent film Langue étrangère, en plus de participer à une séance de Questions et réponses suivant la projection dans le cadre du Festival Image+Nation.
Forte d’un beau parcours depuis son premier long-métrage, Party Girl, qui a raflé plusieurs honneurs au Festival de Cannes, Claire Burger a voulu tomber dans quelque chose de plus personnel, tout en touchant à plusieurs désirs pour son nouveau film. De fait, après avoir exploré des mondes plus adultes, elle s’intéresse pour la première fois à la jeunesse (qu’elle abordait moins frontalement, par le passé), faisant écho autant à celle d’aujourd’hui qu’à celle d’hier, retombant dans ses propres souvenirs.
C’est qu’à l’instar de plusieurs des personnages de sa nouvelle proposition, elle a aussi habité tout près de la frontière de deux solitudes. Profitant d’une coproduction unissant la France, l’Allemagne et la Belgique, à l’image de son titre, c’est la confrontation des langues, des univers, mais aussi des cultures qui l’intéressait, tout comme de réaliser son premier film s’immisçant dans l’univers lesbien.
Dans une construction narrative en deux temps se basant sur un échange étudiant, on s’intéresse à l’Allemagne et la France, deux pays qui sont plus que jamais en constante mutation.
Faisant encore montre de sa sensibilité distincte, Burger demeure encore très près et empathique vis-à-vis ses personnages, parvenant à sortir le meilleur d’une talentueuse distribution. Après la force tranquille qu’est Bouli Lanners, tête d’affiche de son précédent et délicat C’est ça l’amour, la réalisatrice se lance ici dans un univers presque essentiellement féminin, ayant cette fois fait appel à Léa Mysius pour l’aider au scénario, elle-même cinéaste et ayant prêté main forte à des noms prestigieux comme Jacques Audiard, Arnaud Desplechin et André Téchiné.
Via un processus de casting exhaustif où se sont multipliées les auditions, c’est par de nombreux coups de chance que Mme Burger a fini par tomber sur ses deux actrices principales, dont le talent et le naturel semblent innés, comme semble en transpirer aussi leur chimie.
L’Autrichienne Lilith Grasmug défend le côté français, tout en faisant semblant de mal parler l’allemand, tandis que la nouvelle venue Josefa Heinsius démontre une fraîcheur impressionnante dans le rôle de l’Allemande, pour son premier rôle au cinéma. Toutes deux doivent d’ailleurs défendre des rôles a priori opposés, mais aussi nuancés et complexes, reflets de la jeunesse trouble et perturbée d’aujourd’hui, essayant de faire sa place et de se construire leur propre personnalité, leurs propres convictions dans des futurs incertains.
Comme points d’ancrage et de raison, l’ensemble compte aussi sur les présences non négligeables des établies Chiara Mastroianni (fidèle collaboratrice de Christophe Honoré) et Nina Hoss (vue récemment dans le brillant Tár de Todd Field), toutes deux impeccables en figures maternelles imparfaites qui font du mieux qu’elles peuvent.
Sauf que, comme ce fut le cas pour le tournage, alors que Burger et ses collaborateurs ont dû faire face aux approches et manières de faire très différentes entre les Français et les Allemands, le film joue avec des zones compliquées, plus grises que fortement colorées. Un peu à l’image du visuel assez froid, aux teintes bleutées quasi décolorées, que vient chercher et saisir le chef opérateur de talent Julien Poupard.
L’univers maussade a une petite place pour la passion, souvent relevée par les partitions aguichantes d’une première collaboration convaincante avec l’artiste Julia Lanoë, mieux connue sous son nom de scène Rebeka Warrior, mais ce sont les problèmes et les déprimes qui semblent prendre le contrôle du récit, alors qu’on aborde des thématiques comme la solitude, le rejet, l’intimidation, la maladie mentale et on en passe.
C’est un peu, aussi, ce qui finit par plomber la proposition en voulant ratisser trop large et en ne faisant jamais état clairement de ce qu’on a envie de raconter.
Certes, l’adolescence est une période d’exploration et d’incertitudes, sauf que si le film suit aussi ces hésitations, cela devient difficile, pour le spectateur, de s’accrocher et de ne pas se perdre dans les diverses avenues qui essaient également d’ajouter au reste, romance incluse, des messages sur le militantisme et le désir de s’impliquer socialement. N’en déplaise à un revirement plutôt ingénieux sur le vrai et le faux, nos réticences sont confirmées par une finale qui semble plus plaquée qu’autre chose, laissant les choses en suspens plutôt que de boucler concrètement une boucle ou de finir le tout de manière satisfaisante.
Langue étrangère demeure néanmoins un film satisfaisant, le talent réuni devant et derrière la caméra étant trop riche pour bouder son plaisir. On regrette toutefois qu’il semble manquer de finition au produit, peut-être de par sa nature plus personnelle. On continuera toutefois de suivre avec attention la carrière de cette cinéaste qui a beaucoup de projets dans sa mire.
6/10
Langue étrangère a été vu dans le cadre du Festival Image+Nation, en partenariat avec le Cinémania. En l’absence d’un distributeur, le film n’a pas de sortie en salle de prévue pour le moment.