Dégageant brillamment cette chimie qu’on voit rarement au grand écran, les surdoués Andrew Garfield et Florence Pugh, deux des comédiens les plus talentueux de leur génération respective, nous font passer par toutes les émotions possibles dans l’aussi émouvant que réconfortant We Live in Time de John Crowley, l’une de ses plus belles réussites.
Si l’excellent et malheureusement méconnu Boy A de John Crowley a tout changé pour Andrew Garfield, qui a ensuite rapidement gravi les échelons, jusqu’à marquer les esprits en Eduardo Saverin dans le magistral The Social Network de David Fincher, le parcours de Crowley, qui a par la suite beaucoup cherché son style, a été plus chaotique.
S’il a multiplié les projets intéressants et reçu la reconnaissance de l’industrie et du public avec son adaptation du roman Brooklyn de Colm Tóibín, qui a eu trois nominations aux Oscars, incluant celle pour le meilleur film, le réalisateur s’est aussi essayé au suspense avec Closed Circuit, et à la télévision auprès de projets d’envergure comme la deuxième saison de True Detective, pour laquelle il a réalisé deux épisodes.
Son dernier essai au grand écran, l’adaptation fort décevante du roman The Goldfinch de Donna Tartt, a fait craindre le pireè il est donc rassurant qu’il nous revienne en si grande forme pour sa première romance.
Un peu comme un certain retour aux sources, renouer avec Garfield plus de 15 années plus tard lui permet de revenir à l’essentiel, tout en se permettant d’être grand public.
C’est après tout son approche très humaine qui nous convainc le mieux, encore plus en mode intimiste, comme il a tendance à s’éparpiller un peu dans des projets qui ratissent trop large (on repense au bouillonnant Intermission, qui jonglait avec une dizaine de personnages).
Ici, outre une structure en casse-tête, savamment montée par Justine Wright, qui navigue dans le temps (passé, présent et futur se succèdent sans jamais s’imposer, sans jamais avoir recours à des indicateurs de temps à l’écran, en faisant toujours confiance à l’intelligence du spectateur, une rareté précisons-le), on reste toujours à proximité du couple qui nous intéresse.
Certes, si cette chronologie éparpillée tel qu’imaginée dans le scénario original de Nick Payne n’est pas sans rappeler Blue Valentine de Derek Cianfrance, qui alternait entre le bonheur et la détresse, ou (500) Days of Summer, en version plus lumineuse, on ne cherche pas ici de grandes révélations, alors qu’on tombe rapidement dans le sujet du cancer qui touche l’un des deux membres du couple.
On a plutôt envie de s’attarder aux moments qui comptent vraiment et de montrer la vie dans ses hauts et ses bas et de rappeler, régulièrement, que le temps est précieux et qu’il faut savoir en profiter coûte que coûte.
Sur papier, cela peut ressembler à un film Hallmark, une proposition de Nicholas Sparks ou ses semblables, mais c’est relevé par l’expertise de tous ceux réunis qui y injectent tout ce qu’ils peuvent pour en faire une oeuvre soignée, précise et d’une bienveillance rarement mielleuse qui trouve une authenticité dans le quotidien, plutôt que de romancer l’inatteignable.
Si l’on se permet de ne pas seulement se concentrer sur les bons moments et d’en montrer des plus durs, on peut aussi avoir l’impression, par moment, de faire face à une liste à cocher des événements marquants de leur relation et d’évacuer certains passages, ou de ne pas en approfondir d’autres.
Cette petite déception est toutefois minime, heureusement.
Que le réalisateur d’origine irlandaise permette à ses deux têtes d’affiche d’utiliser leur vrai accent ajoute aussi au charme de l’entreprise, sans jamais amoindrir la dévotion de leurs performances qui nous feront passer par la plus grande gamme d’émotions, en s’y retrouvant dans leurs victoires, leurs défaites et leur indubitable passion.
Il faut également admettre que les deux personnages se complètent continuellement et qu’il y a un équilibre qui est également très rare à atteindre dans le désir d’illustrer chaque revers des situations, autant dans les pours que les contres.
Un admirable travail de perspective que même Marriage Story, de Noah Baumbach, n’avait pas vraiment réussi à accomplir.
Le tout est ainsi magnifiquement mis en images par Stuart Bentley, qui tire grandement profit du Royaume-Uni autant à la ville qu’en campagne, et le tout est rehaussé par une excellente trame sonore qui mélange les compositions originales de Bryce Dessner et plusieurs choix de circonstance, allant de The XX à Bahamas.
Certes, tout miser sur les deux tourtereaux se fait au détriment du reste et, si l’on apprécie d’avoir laissé une petite place aux membres de leurs familles, le tout s’avère finalement tellement inconséquent qu’ils auraient pu être complètement évacués et cela n’aurait rien changé. Comme quoi on en revient au fait que Crowley est toujours meilleur quand il se concentre sur quelque chose de précis.
Néanmoins, à ses heures très touchant, à d’autres moments particulièrement hilarant (on repensera beaucoup à cette scène d’accouchement qui ne ressemble à rien d’autre), voilà un film qui plaira au plus grand nombre. Certes, sa tendresse et sa douceur seront peut-être plus dures à apprivoiser pour les sceptiques, mais disons que la beauté triomphante de l’ensemble pourrait bien convaincre les plus récalcitrants.
Pas de doutes, We Live in Time, est l’oeuvre par excellence pour réchauffer les coeurs à l’arrivée du temps frais.
8/10
We Live in Time prend l’affiche en salle ce vendredi 18 octobre.