Directrice de la photographie émérite ayant fait ses classes de réalisation au petit écran dans la dernière décennie, disons que Ellen Kuras s’est lancé tout un défi pour son premier long-métrage: la vie de Lee Miller, ancien modèle devenue photographe, mais surtout, correspondante de guerre pour le magazine Vogue durant la Deuxième Guerre mondiale.
Avec une approche en apparence classique, mais avec quelques surprises, voilà que l’équipe derrière ce très beau film intitulé très simplement Lee nous livre aisément l’une des plus belles fins de l’année.
Ce qui ressort le plus dans le projet, c’est le soin et la passion qui en découlent, palpables dans chaque recoin, chaque décision ou presque.
Ellen Kuras renoue ainsi avec la grande actrice Kate Winslet, qu’elle a su capter dans sa lentille à deux reprises, incluant l’inoubliable Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry, et Winslet, pour sa part, assure pour la toute première fois le rôle majeur de productrice.
De fait, elle a parlé sans filtre des embûches qu’elle a rencontré (blessure, problèmes de financements, etc.) et de sa dévotion pour mener ce projet à terme qui a pris presque une décennie à finaliser.
Ce qu’on remarque aussi dans ce projet à l’esprit très féminin, c’est son désir marqué et marquant pour garder l’accent sur les femmes, sur leur place et sur leur combat, souvent quotidien, pour faire valoir leur place et leurs droits.
Une autre décision qui n’est pas banale, puisque cela a certainement fait partie de la mentalité de Miller tout au long de sa carrière, elle qui braquait principalement sa caméra sur les femmes, parfois de l’ombre, sinon sous des angles inédits. Et ce, tout en voulant offrir un regard nouveau sur un monde où l’on préfère trop souvent laisser les choses « importantes » aux hommes.
Si le film déçoit un peu sur le plan visuel, compte tenu du flair un peu trop effacé de Pawel Edelman et ironiquement moins allumé que Kuras, lui qui est collaborateur régulier de Polanski et qui avait aussi filmé Winslet pour son adaptation de Carnage, le long-métrage compense allègrement avec ses autres qualités techniques.
Cela s’effectue principalement via sa reconstitution historique, rien de moins qu’admirable, dont on imagine sans mal l’exhaustif travail de recherche et d’exactitude. La production a après tout eu accès à la totalité des archives de la photographe, tout comme le soutien absolu de la famille de cette dernière.
Aussi, si certains airs musicaux semblent parfois un peu trop faciles, l’illustre Alexandre Desplat ne manque quand même pas de moments où il envoie toute la gomme du côté de l’orchestre pour soutirer des émotions fortes.
Pour le reste, on ne peut que saluer l’excellence de la distribution qui réunit des noms des plus prestigieux.
Bien sûr, malgré les différences d’origines de Miller, qui était américaine, la très anglaise Winslet est entièrement dévouée corps et âme dans le projet et, bien qu’on fantasme un peu à l’idée de la chimie qu’elle aurait eu avec Jude Law, son remplaçant Alexander Skarsgaard fait le travail avec le talent qu’on lui connaît.
Autour d’eux gravitent d’impressionnants noms, tels qu’Andrea Riseborough, Josh O’Connor, Marion Cotillard et Noémie Merlant, mais c’est Andy Samberg (oui-oui, l’ex-membre de Saturday Night Live qui a multiplié les projets humoristiques, dont The Lonely Island et Brooklyn Nine-Nine), dans un rôle au sérieux inattendu, qui crée la plus grande surprise. Après tout, au-delà des facéties, la sensibilité de l’acteur et de son jeu n’ont jamais été bien loin dans la majorité de ses rôles.
Enfin, construit a priori de manière classique (sous forme d’entrevues et de souvenirs qu’on se remémore, majoritairement via le biais des photos de Lee, reconstruites pour l’occasion, mais dont plusieurs des originaux sont dévoilée durant le générique de fin) le film semble donner dans le biopic aussi convenu que conventionnel, mais s’écoutant de manière palpitante compte tenu de son sujet, admirable et dont la vie semble régulièrement plus grande que nature, mais aussi face à tout le talent assemblé énuméré en partie précédemment.
C’est toutefois dans ses dernières minutes que l’oeuvre passe au niveau supérieur. Via un tour de passe-passe inédit (dont on essaie grandement de vous conserver la surprise), mais parfaitement en phase avec sa volonté et son idéologie, le film devient soudainement hantant et d’une poésie aussi splendide que cruelle.
On oublie soudainement une grande part des faiblesses scénaristiques, principalement au niveau du rythme qui laisse voir les nombreux enjeux de réécriture et les multiples mains qui se sont partagées le scénario, complètement happés par une décision d’un génie certain. C’est via cette audace, qui risque certainement de diviser les spectateurs, que tout change et qu’on a envie de tout revisiter, non seulement le long-métrage, mais aussi la vie de Lee qui nous captivait pourtant déjà.
7/10
Lee prend l’affiche en salle ce vendredi.