Non pas par son originalité, mais plutôt par son aisance, son assurance et la maîtrise totale de son exécution, The Substance éclabousse littéralement tout sur son passage pour offrir de loin l’une des oeuvres cinématographiques les plus jouissives de l’année, déjà auréolée du prix du scénario au plus récent Festival de Cannes. En gros: à ne manquer sous aucun prétexte.
Vendu un peu à tort sous l’étiquette réductrice du sous-genre du body horror, dont le cinéaste canadien David Cronenberg s’est fait maître, le deuxième film de la cinéaste Coralie Fargeat est tout à la fois conte et satire. Pas de quoi avoir très peur, rien de trop dégoutant ou cauchemardesque non plus (puisqu’il est toujours présenté de la manière la plus ludique possible, même lorsqu’on vire vers le plus sanglant), ni de jumpscares ou autres éléments qui pourraient faire fuir une part du public.
Le film est au contraire particulièrement lumineux, la chaleur de la Californie oblige, excessivement drôle même, alors qu’on réutilise le mythe de la célébrité d’Hollywood, passant par l’ascension et la chute des vedettes via une prémisse du double, de la duplication, purement issue de la science-fiction.
Cela s’explique principalement parce que sous une construction parfaitement cyclique, on a cette fois eu le culot d’aller absolument jusqu’au bout, mais complètement aux limites possibles de son idée. Une rareté, avouons-le. De quoi vous rassurer qu’à la question: « Iront-ils jusque là? », la réponse sera continuellement « oui ».
De fait, un peu comme le faisait déjà son Revenge, Coralie Fargeat repousse les barrières de ce qui semble être possible pour un midnight movie, des oeuvres souvent de séries B qui ont le pouvoir rassembleur de soulever les foules volontairement ou non, en s’attaquant à un sujet a priori horrible, mais en y trouvant tout le plaisir possible, et au féminin s’il vous plaît.
On ne se surprendra pas que le commentaire de la réalisatrice sur le culte et les standards de la beauté et de la jeunesse exigés des femmes sous les projecteurs sera féroce (les jolies filles doivent-elles vraiment toujours sourire?), ni que la proposition sera un tremplin de catégorie supérieure pour ses interprètes féminines qui se dévouent corps et âme, carrément, pour le projet.
Oui, pour Margaret Qualley, bien sûr, qui épate partout sur son passage depuis une décennie déjà en prouvant continuellement qu’elle est bien plus que la « la fille de », mais d’abord et avant tout pour Demi Moore, qui y trouve tout simplement le rôle d’une vie, d’une carrière pourtant déjà bien fournie.
Un choix qui n’est certainement pas anodin, puisque l’actrice dans la soixantaine, qui pourrait difficilement moins faire son âge, ne s’est jamais cachée de ses nombreuses opérations pour continuellement « améliorer » et rajeunir son physique depuis le début de sa carrière.
Mais aussi pour une actrice, n’ayant peut-être pas la renommée attendue d’un nom et d’un statut qui ne sont pourtant plus à présenter, qui a aussi démontré qu’elle pouvait tout faire: de la femme forte à la séductrice, en passant par la mère, l’amie, l’amante et la conjointe, de la gentille à la méchante, dans possiblement tous les genres imaginables.
S’agrafent à elles une composition complètement décalée de Dennis Quaid, qui s’entiche avec un plaisir évident d’un rôle qui était prévu pour feu Ray Liotta, ce qui nous rappelle que des comédiens expérimentés font toute la différence, preuve en est faite par la courte apparition de Vincent Colombe (vu parmi les rôles principaux du précédent film de la réalisatrice), qu’on a eu la judicieuse idée de ne pas faire parler cette fois.
2.0
Revampant une grande partie de son équipe, Fargeat fait appel aux images léchées du talentueux Benjamin Krakun (derrière l’oscarisé Promising Young Woman, mais aussi les trop peu vus et excellents Beats et Monsoon), à la musique imposante de Benjamin Stefanski dit Raffertie et troque Bruno Safar pour Valentin Féron, davantage habitué aux suspenses, dans son trio de monteurs dont Fargeat elle-même fait encore partie.
D’emblée, il faut admettre que l’écart entre les deux oeuvres de la réalisatrice est grande et que ce deuxième tour de piste est prêt pour ravir à la fois les amateurs, mais aussi les détracteurs de sa première création. Non seulement parce que celle-ci est supérieure en tout point, mais aussi parce que la cinéaste, qui a certainement acquis une maturité impressionnante en peu de temps, semble plus en maîtrise de son art que jamais.
Les thèmes sont après tout similaires, on favorise toujours continuellement le point de vue féminin, on utilise le corps de la femme de manière concise et non pas pour le sexualiser inutilement, tout en remettant en question la place qu’occupe la beauté chez la femme et notre perception d’elle, et on tire le maximum des espaces clos. Pas surprenant qu’elle fasse directement référence à The Shining, alors qu’elle a affiché, en deux films, un savoir-faire impressionnant pour filmer de longs corridors.
Certes, ceux qui trouvaient que Revenge s’étirait un peu inutilement auront certainement peur de revivre la même expérience avec les 140 minutes de The Substance, mais c’est plutôt lorsqu’on pense que le long-métrage stagne qu’il parvient le mieux à se réinventer (comme son sujet, d’ailleurs) et raviver instantanément notre intérêt.
Ce n’est pas non plus une oeuvre qui a peur de cacher ses influences. Que ce soit via des références directes comme celle à Kubrick énoncée plus tôt, ou indirectes alors qu’on pige dans tout, de Sunset Boulevard à Blanche-Neige, jusqu’à Gollum volontairement cité au générique.
Le mieux bien sûr est de se garder le plus de surprises possibles puisque bien que la majorité des revirements soient malgré tout prévisibles, comme on l’a déjà répété à plusieurs reprises, c’est dans l’exécution que l’oeuvre trouve toute sa satisfaction. Comme quoi, même dans ses excès, savamment dosés, le film arrive à se justifier.
The Substance est une expérience cinématographie totale et complète qui amuse et s’amuse à égale mesure. Il n’y a pas grand chose qui semble y manquer ou qui semble de trop. Ce n’est pas la perfection, bien sûr, car celle-ci, comme le comprendront ses personnages, est inatteignable, mais c’est une écoute d’une époustouflante intelligence qu’on n’est pas prêt d’oublier de sitôt.
8/10
The Substance prend l’affiche en salle le vendredi 20 septembre.