Les amateurs de bande dessinée québécoise en général et de Red Ketchup en particulier ont de quoi se réjouir, puisqu’après une trop longue absence, le sulfureux personnage est de retour dans un tout nouvel album, intitulé L’agent orange.
Ayant passé vingt ans en animation suspendue à l’intérieur d’une machine de déshydratation conçue par l’infâme docteur Otto Küntz, Red Ketchup revient à la vie en 2015. Il se rend immédiatement aux bureaux du FBI afin de reprendre du service. Sur place, il découvre avec stupeur que son patron n’est plus Philip G. Sullivan, mais plutôt son ancien collègue, l’agent Peter Plywood. Ce dernier lui confie une mission délicate : enquêter sur Ronald Dump, un milliardaire candidat à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle soupçonné d’affaires de mœurs, d’évasion fiscale, de fraude, de collusion, et d’espionnage. Red prend alors sa carte de membre du Parti républicain afin de pouvoir s’approcher de sa cible discrètement, mais il devra tout d’abord s’adapter à cette Amérique, qui a bien changée en deux décennies.
Steve Kecziupelski, mieux connu sous le nom de Red Ketchup, a vu le jour dans les pages de Michel Risque avant que sa popularité n’éclipse celle du héros à la mâchoire carrée et qu’il obtienne sa propre série solo. Combinant la violence exagérée des comics américains à une sensibilité et à un humour bien québécois, le personnage est devenu, avec le temps, l’une des figures les plus iconiques de toute la bande dessinée d’ici. Il a d’ailleurs eu droit récemment à une adaptation au petit écran assez décevante, qui ne respectait pas les histoires pourtant parfaites imaginées par Pierre Fournier. Puisque ce dernier est décédé en 2022, L’agent orange est scénarisé par Réal Godbout, le dessinateur original, et son fils Robin Bourget-Godbout.
Red Ketchup a toujours constitué une parodie de la culture de nos voisins du Sud, et même si l’intrigue de L’agent orange n’est pas aussi délirante que les histoires écrites par Pierre Fournier, cet aspect de l’agent du FBI vise toujours aussi juste. Sans avoir recours à la caricature mais en se contentant de le présenter tel qu’on le connaît, la personnalité corrosive de Donald Trump et ses nombreux excès en font un personnage de choix pour une bande dessinée, mais en dépit de sa présence, cette nouvelle aventure se moque surtout du système politique et du climat social actuel aux États-Unis, un terreau fertile pour un anti-héros ne s’encombrant pas de nuances et que la consommation frénétique de drogue a rendu pratiquement invulnérable.
J’ai toujours aimé la patte graphique de Réal Godbout. Ses dessins d’une grande lisibilité évoquent une version québécoise de l’école de la ligne claire, avec un peu plus de rondeur, et ses dessins dans L’agent orange n’ont rien perdu de leur virtuosité, au contraire. On reconnaît du premier coup d’œil les figures publiques qu’il insère dans ses planches, comme Rudy Giuliani, Ivanka, Jared Kushner, Steve Bannon (rebaptisé ici Steve Ballon), Vladimir Poutine, et évidemment Donald Trump. Des rues bourdonnantes de Washington aux foules brandissant des pancartes lors des rassemblements politiques en passant par la chambre d’hôtel de Red Ketchup parsemée de bouteilles de pilules vides et de vitre brisée, chacune des cases de l’album est truffée de détails amusants qui rendent ses illustrations vibrantes et vivantes.
En plus du récit principal, l’album inclut également Les extras de Red Ketchup, qui regroupe le matériel développé au fil des années et qui n’avait pas encore été rendu accessible dans les trois intégrales publiées chez La Pastèque. On retrouve des histoires courtes parues dans Safarir et dans les trois numéros de Croc lors de la brève renaissance du magazine en 2019, ainsi qu’Hors d’Ordre, un récit d’une page mettant en scène Red Ketchup, Michel Risque et son oncle Ludger à la Commission Charbonneau commandée par Le Devoir en 2013 pour une édition spéciale du journal. On a également droit à des hommages au personnage rendus par d’autres artistes, comme Jean-Paul Eid, Julie Rocheleau, Ben Tardif, Michel Rabagliati ou Gabriel Morissette, et à divers éléments ayant servi à la création de la série animée.
Une nouvelle bande dessinée de Red Ketchup n’est rien de moins qu’un événement, et une fête pour ses nombreux fidèles. Même si l’absence de Pierre Fournier au scénario se fait sentir, les lecteurs de longue date seront définitivement charmés par ce retour que l’on n’attendait plus de l’agent choc du FBI.
Red Ketchup: L’agent orange, de Réal Godbout, Robin Bourget-Godbout et Pierre Fournier. Publié aux éditions La Pastèque, 160 pages.
2 commentaires
Merci pour les commentaires, ça fait toujours plaisir. Article étoffé, bien documenté.
Petite précision tout de même : depuis le début, tous les albums précédents (ainsi que les Michel Risque) ont été scénarisés conjointement, à parts égales, par Pierre Fournier et moi-même.
Si le ton du dernier album n’est pas tout à fait aussi délirant, ce n’est peut-être pas tant à cause de l’absence de Pierre, mais plutôt parce qu’on n’est plus dans les années 80. Qu’on le veuille ou non, les temps changent et on vieillit…
Bonjour monsieur Godbout,
Quel honneur de savoir que vous avez lu ma chronique! Je suis un fan de longue date de Red Ketchup (de Michel Risque aussi), avec lesquels j’ai grandi lorsque j’étais abonné à Croc, et quand j’ai su qu’un nouvel album allait paraître, j’étais fou de joie. L’intrigue de ce nouvel album m’a paru moins éclatée que les précédents, alors que l’antihéros voyageait à travers le temps ou se rendait en enfer. J’ai pensé que l’absence de Pierre Fournier expliquait la chose, mais ça ne m’a pas effleuré l’esprit que ça pouvait simplement être pour mieux refléter notre époque. Ma présomption était fausse, merci de votre précision. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une excellente bande dessinée, que j’ai beaucoup appréciée, et qui figure parmi les meilleures parutions québécoises de l’année. J’espère que l’album connaîtra tout le succès qu’il mérite, et qui sait, que nous aurons d’autres aventures de Red Ketchup dans le futur!