Kukum, le roman de Michel Jean publié en 2019, a connu un très grand succès en librairie. Écrit dans un style simple et imagé, il permet au lecteur de pénétrer dans l’univers ignoré de la culture innue, au début du 20e siècle, au bord du Pekakami désormais renommé Lac Saint-Jean. C’est ce beau texte de Michel Jean qui a été adapté pour le théâtre, avec musique, chants et nombreux effets et projections vidéo, y compris de documents d’archives.
Si le texte est publié en français, la pièce est en grande part proposée en langage innu (avec surtitres), pour bien faire ressentir l’écart culturel qu’a vécu l’arrière-grand-mère de l’auteur, lorsqu’elle a décidé de quitter son milieu d’origine.
À 15 ans, Almanda, une jeune fille blonde aux yeux bleus d’origine irlandaise, est une orpheline qui vit chichement de la terre avec son oncle et sa tante. Les paysages sont majestueux, mais la nourriture est rare et la vie difficile. Qu’y a-t-il de l’autre côté du lac?
Quand Thomas, un jeune Innu qui parle très peu le français de sa voix douce et qui a une « étincelle dans les yeux », lui offre généreusement une outarde chassée pour elle, Almanda est séduite et ressent l’appel de l’amour et d’une vie libre dont elle ignore tout. Elle a besoin d’air frais. Le mariage est célébré et la voilà qui s’engage dans une existence aux antipodes de ce qu’elle connaissait.
Heureusement, la sœur de Thomas parle mieux le français. Elle l’initiera aux subtilités de la langue innue, aux travaux et au mode de vie de sa nouvelle famille. C’est un mariage heureux et réussi, dont les accrochages sont présentés avec bienveillance et humour.
L’une des grandes différences réside dans le rythme de la conception du temps. Malek, le père de Thomas, trouve sa belle-fille bavarde. La lenteur et le côté contemplatif de la culture innue est ainsi bien rendu par la pièce. Dans un environnement d’une beauté à couper le souffle, mais souvent hostile, il faut survivre à chaque saison difficile, séduire la nature dispensatrice de ses bienfaits et lui être reconnaissant pour qu’elle dispense encore ses biens avec générosité. Les nuits sont longues et les rêves peuplent l’imagination des dormeurs en leur envoyant des messages dont ils tiennent compte pour leur survie.
Dans un décor théâtral simple, mais efficace, grâce à des projections et des effets visuels dont certains sont d’une très grande qualité, le spectacle s’attelle à montrer les aspects simples et pacifiques de la culture innue. Mais le territoire innu est encore réduit lorsqu’il va s’agir de construire des routes et d’exploiter la forêt. La réserve diminue de manière implacable et laisse la place à des négociations incessantes, par exemple pour l’ajout de simples trottoirs qui permettraient aux enfants de circuler en sécurité…
La pièce propose davantage une ambiance qu’une véritable intrigue. Elle suit en partie le texte du roman et se termine à la transmission d’Almanda à sa petite-fille Claude, la mère de Michel Jean. Les acteurs, la plupart innus, sont parfaits dans leurs rôles, les costumes très beaux et soignés. L’adaptation est réussie, même s’il s’agit davantage d’un tableau de la culture innu que d’une véritable histoire, comme on aime les avoir au théâtre.
Kukum, de Michel Jean
Adaptation théâtrale : Laure Morali
Avec la collaboration de Joséphine Bacon
Mise en scène : Émilie Monnet
Avec : Sharon Fontaine Ishpatao, Jean Luc Kanapé, Léane Labrèche-Dor, Marie-Eve Pelletier, Emma Rankin et Étienne Thibeault
Assistance à la mise en scène et régie : Claudie Gagnon
Décor : Simon Guilbault
Co-conception costumes et conception coiffures : Kim Picard et Sophie El-Assaad
Éclairages : Martin Sirois
Musique traditionnelle : Mathieu McKenzie, Kim Fontaine, Hugo Perreault
Conception vidéo : Caroline Monnet
Gardienne des savoirs innus : Joséphine Bacon
Du 12 novembre au 15 décembre 2024 au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal