Comment trouver la sortie? Les toxicomanes ou les alcooliques savent bien qu’ils sont les esclaves de leurs produits, que ceux-ci les poussent à des comportements pour le moins inappropriés, qu’ils travaillent à leur déchéance quand ça ne les mène pas à la mort. Pour autant, la sortie de l’engrenage n’est pas facile à trouver. Et les protocoles d’aide, s’ils ont le mérite d’exister, n’ont de chance de réussir que pour les sujets déjà convaincus de leur réussite.
Les gens, les lieux, les choses, pièce du dramaturge britannique Duncan Macmillan traduite par David Laurin se penche sur le problème de la dépendance et de sa guérison, de sa sortie désirée en théorie, mais pas forcément en pratique. La très belle mise en scène d’Olivier Arteau insiste d’ailleurs sur ce mot de « sortie » aux multiples signifiants, qui représente autant la sortie espérée de l’institution et de la dépendance, que celle de la société et des personnes qui nous sont le plus proche, voire de la vie elle-même.
Nina, Emma, Sarah, Catherine… on ne sait plus trop son prénom, est une actrice de théâtre devenue incapable de faire son métier à cause de toutes ses dépendances. Elle est aussi une menteuse compulsive qui finit par croire elle-même les mensonges qu’elle profère. Mais elle n’a pas d’autre choix que de trouver de l’aide si elle veut avoir des chances de reprendre l’exercice de son métier, un métier qui lui procure un autre type de dépendance, celui des applaudissements et de la reconnaissance du public.
Au-delà de ce tournage en rond qu’est la toxicomanie, c’est une belle mise en abyme qui introduit le spectacle. Le personnage principal, remarquablement interprété par Anne-Élisabeth Bossé – totalement métamorphosée physiquement – n’est plus capable de tenir son rôle dans La mouette de Tchekhov, se trompe, bafouille, éclate de rire… et doit être immédiatement remplacée. Il lui faut désormais un certificat prouvant qu’elle est apte à son métier d’actrice, un billet de sortie délivré par l’institution dans laquelle elle se présente volontairement, mais en n’aillant qu’une seule envie, soit le fait de ne pas forcément de s’en sortir, mais plutôt le désir d’en sortir dès que possible.
Entrer dans le centre de désintoxication, c’est se défaire totalement des protections et carapaces que l’on a construites pour survivre. Nina doit oublier son téléphone, remplir un formulaire, certes anonyme, accepter de couper tout contact avec ses relations, rompre avec les gens, les lieux, les objets… qui sont bien sûr tous associés à son problème, endurer un sevrage particulièrement douloureux et pire encore, sortir de son délire et se dévoiler avec vérité et sincérité dans un groupe de parole thérapeutique.
C’est ce voyage que l’on fait avec la protagoniste. Et toute la scénographie permet d’approcher les sentiments de douleur, de morcellement, de révolte agressive qui accompagnent le processus. Les éclairages sont particulièrement soignés. On assiste à de nombreuses chorégraphies très bien coordonnées et réalisées par des acteurs qui sont aussi d’excellents danseurs. Si la distribution ne comprend que dix artistes sur scène, ceux-ci sont tellement polyvalents qu’on a l’impression qu’il y en a beaucoup plus. Nina se démultiplie quand son esprit déraille. Le décor blanc et aseptisé de l’institution se charge de dizaines de rayons laser chargés de permettre au public d’approcher les violences des ressentis des patients.
Les gens, les lieux, les choses est un spectacle au sujet poignant, très soigné du point de vue esthétique, de la mise en scène et des performances d’acteurs, et qui ne laissera personne indifférent.
Les gens, les lieux, les choses
Texte : Duncan Macmillan
Traduction : David Laurin
Mise en scène : Olivier Arteau
Interprétation : Anne-Élisabeth Bossé, Claude Breton-Potvin, Maude Guérin, Joephillip Lafortune, Marc-Antoine Marceau, Jean-Sébastien Ouellette, Fabien Piché, Charles Roberge, Ines Sirine Azaiez et Alexandrine Warren
En coproduction avec Le Trident
Jusqu’au 12 octobre au Théâtre Jean-Duceppe, à Montréal