« C’est du costaud »: ainsi témoignait l’une des responsables des relations publiques de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), peu de temps avant la présentation des Gurre-Lieder de Schoenberg, à l’occasion de la nouvelle saison de l’orchestre. Et ce fut effectivement costaud; impressionnant, spectaculaire, grandiose, même!
Le chef Rafael Payare aura donc réussi son pari: celui de dépoussiérer cette oeuvre magistrale pourtant conservée dans des cartons depuis près d’une vingtaine d’années. Magistrale, oui, avec ses 4 harpes, ses 10 (!) contrebasses, ses centaines de choristes et de musiciens… On pouvait difficilement faire mieux, à l’approche de ce qui aurait été le 150e anniversaire du compositeur.
Et pourtant, les premières mesures de ce concert de près de deux heures sont assez classiques, tout comme l’histoire qui nous est racontée: une tragédie danoise, au 12e ou au début du 13e siècle, avec un roi épris d’une maîtresse qui sera tragiquement emportée. La chose a déjà été vue, nous sommes clairement dans une thématique romantique, sorte de dernier hourra écrit et composé à la toute fin du 19e siècle, à l’aube d’une « modernité » qui entraînerait dans son sillage de grandes avancées, mais aussi de terribles catastrophes.
Nous voilà donc dans un romantisme exacerbé, avec ces solistes au coeur réduit en miettes par la douleur, notamment le personnage du roi, Waldemar, majestueusement interprété par le ténor Clay Hilley. Un roi qui, en colère contre tous, mais surtout contre le Créateur, ira jusqu’à déclarer la guerre à Dieu.
Le voilà donc embarqué dans une chevauchée sauvage, entouré de guerriers morts au combat, lancé dans une course folle à travers les terres de son domaine, sous la pâle lumière de la Lune.
Et le public, dans la salle, est tour à tour bercé par la douce caresse de la nature et embarqué dans un combat de tous les instants où se mêlent amour, rage et désespoir. Sous l’assaut des cordes et des cuivres, les musiciens de l’OSM proposent – ou imposent, plutôt – moult détours, reculs et autres avancées. Sans oublier les soubresauts. Devant la puissance et la complexité de la mélodie, devant cet enchevêtrement d’accords et de sons, les spectateurs ne sont plus qu’une barque bien frêle lancée sur des flots démontés.
Il y a de ces oeuvres d’une telle force, d’une telle beauté que l’on est pris aux tripes d’une envie quasi irrésistible de se laisser emporter, de se laisser aller devant ces sons qui sont à la fois tout à fait humains, mais aussi quelque chose d’autre, quelque chose de plus qu’humains. Comme une envie de hurler, d’entrer en communion avec la musique. Et s’il est aisé de trouver de la « bonne », voire de la « très bonne musique », atteindre ce niveau de complexité, d’ambition et de complétion témoigne non seulement de la beauté de l’oeuvre, mais aussi du talent de ses interprètes, du musicien chargé de faire grincer une chaîne au chef lui-même, sans oublier les chanteurs.
Voilà donc un concert d’ouverture dont on se souviendra longtemps. La preuve que l’audace peut certainement payer, y compris en musique « classique ». Espérons que la suite de cette 91e saison soit tout aussi magnifique.