Qui n’a pas, dans son entourage, une personne dont le passe-temps favori est de pointer les travers des uns et des autres, de s’en offusquer ou au moins de s’en plaindre? Mademoiselle Agnès, une femme d’un certain âge avec fils adulte, ex-mari et amant plus jeune qu’elle, refuse tout mensonge et toute hypocrisie. Du moins le prétend-elle. Elle n’endure plus personne, mais a besoin d’être très entourée pour l’affirmer haut et fort.
L’Allemande Rebekka Kricheldorf s’est fait une spécialité de reprendre les grands classiques de la littérature pour les adapter à notre époque avec toutes ses bizarreries. Mademoiselle Agnès, présentée au Rideau Vert après un passage réussi il y a deux ans au Prospero, est une reprise du Misanthrope de Molière, sur un ton tout aussi clownesque, voire davantage, avec chansons, chorégraphies, coups de théâtre et surprises en tout genre.
« Plus capable… »: la pièce débute sur une tirade de plusieurs minutes qui constitue à elle seule une véritable performance d’actrice.
Ainsi, Agnès annonce d’emblée la couleur. Elle n’est plus capable d’endurer personne, vraiment personne, et ça la rend très drôle, car elle a le don de trouver les raisons les plus pertinentes d’affirmer que tel ou tels sont détestables.
Elle dit tout haut ce que d’aucuns pensent tout bas à l’occasion; sa désinhibition est totale, cruelle souvent, mais jubilatoire pour tous ceux qui ne se sentent pas trop concernés par ses propos du moment. C’est une véritable misanthrope qui paradoxalement a besoin d’être entourée pour diffuser sa bonne parole dont le venin risque à tout moment de faire retour sur elle.
Au-delà d’une certaine réflexion sur le mensonge et l’hypocrisie, la pièce a la qualité de plonger le spectateur dans l’univers des médias sociaux, des artistes et de leur besoin naturel d’amour et de reconnaissance; tout est une question de dosage. Cela rejoint le besoin de tout un chacun de faire sa place dans son milieu sans trop céder au syndrome de l’imposteur. Agnès y a succombé quand elle était jeune, en obtenant du succès pour un roman qu’elle a écrit. Même si elle n’était pas au niveau des grands écrivains, elle aurait pu tenter de progresser encore dans son art, mais elle a choisi une autre voie.
La pièce est rondement menée sur le ton burlesque de la grosse farce. Elias, la seule personne qu’endure vraiment Agnès, ni homme ni femme, sorte d’adaptation de Falstaff en philosophe prompte à toute sorte de paraboles, ajoute une note très clownesque à l’univers de la pièce. Tous les acteurs sont bien choisis et talentueux, capables de chanter et de danser à l’occasion.
Mademoiselle Agnès est un très bon divertissement qui donne à rire et à réfléchir.
Mademoiselle Agnès
Une pièce de : Rebekka Kricheldorf
Traduction : Rabih/Weigand
Adaptation et mise en scène : Louis-Karl Tremblay
Avec : Sylvie Drapeau, Éric Bernier, Stéphanie Cardi, Luc Chandonnet, Nathalie Claude, Félix Lahaye, Tracy Marcelin et Ariane Trépanier
Du 1er mai au 6 juin 2024 au théâtre du Rideau Vert, à Montréal