Au-delà de certains clichés folkloriques, on connaît assez peu les Inuits et leur culture, mais l’éloignement géographique n’est plus une raison valable pour ne pas en apprendre davantage sur ce peuple grâce à Inuit, un roman graphique signé Edmond Baudoin et Jean-Marc Troubs.
Vingt ans après avoir découvert l’art inuit au musée des beaux-arts de Québec, Edmond Baudoin et son ami Jean-Marc Troubs ont finalement réussi à concrétiser un vieux rêve à l’été 2022, soit se rendre ensemble dans les régions les plus au nord du Canada, au Labrador et au Nunavut, afin de partir à la rencontre des Inuits et s’imprégner de leur culture au-delà de ce que l’on trouve dans les livres et les musées. À mi-chemin entre le carnet de voyage et le recueil de témoignages, l’album Inuit relate ce périple et en profite pour recueillir les mémoires de ce peuple résilient et sa lutte pour préserver ses traditions et ne pas perdre son identité, qui s’efface un peu plus à chaque génération, alors que les attelages de chiens ont été troqués pour des motoneiges et que le chamanisme a été supplanté par la religion catholique.
Inuit est une œuvre de « BD journalisme » dans la veine de Payer la terre ou C’est le Québec qui est né dans mon pays. Au lieu d’imposer leur vision et leur propre narration, Baudoin et Troubs ont plutôt choisi de donner la parole aux gens rencontrés au gré du voyage et de mettre leurs mots en images. De North West River à Pangnirtung en passant par Iqaluit, ils ont mené des dizaines d’interviews auprès d’individus provenant d’horizons très différents. Artistes, enseignants, bibliothécaires, maires, avocats criminalistes, médecins, journalistes, employé des Parcs nationaux du Canada, conservateur de musée ou enquêteur de la Commission de vérité et réconciliation, toutes ces personnes décrivent, à leur façon, le quotidien des Inuits et livrent leurs prédictions quant à l’avenir de ce peuple doué d’une étonnante faculté d’adaptation.
La grande diversité de points de vue que l’on retrouve dans Inuit dresse un portrait vivant de ce territoire aux routes pas toujours goudronnées et de ses habitants, dont la vie est axée sur la communauté et les liens avec la nature. Impossible de passer sous silence la consommation de drogues et d’alcool, le taux de suicide, les séquelles de la colonisation et des pensionnats, les ravages causés par le barrage de Muskrat Falls (qui a augmenté le taux de méthylmercure dans l’eau de 200% et dont l’absorption a des effets catastrophiques sur les animaux et les humains), ou les conséquences des changements climatiques affectant davantage les régions nordiques, mais l’album demeure tout même optimiste et parle aussi d’avenir, alors que la population est en pleine croissance et que 50% des Inuits aujourd’hui ont moins de vingt ans.
À l’image des multiples témoignages composant l’album, on a droit à un foisonnement de styles graphiques dans Inuit. Certains dessins sont plus simples et naïfs, tandis que d’autres, comme les portraits des personnes rencontrées effectués à l’aide de dizaines de lignes hachurées et denses, possèdent une facture beaucoup plus réaliste. Beaudoin et Troubs reproduisent plusieurs œuvres d’art inuites, dont des gravures ou des statuettes, et capturent bien l’immensité du Nord, avec des paysages majestueux s’étalant à l’occasion sur deux pages complètes. Les artistes insèrent une touche de poésie et de mythologie çà et là, avec une file de gens arborant des panaches de caribous, ou d’autres dont les avant-bras sont des têtes d’oiseaux. Imprimé sur des pages de grand format nous permettant d’apprécier pleinement le travail graphique, on retrouve quelques illustrations en couleur, mais la majorité des planches sont monochromes.
Peu d’entre nous auront un jour la chance d’aller au Labrador et au Nunavut. Voilà pourquoi Inuit, qui nous propose de voyager virtuellement sur ce territoire éloigné aux côtés d’Edmond Baudoin et de Jean-Marc Troubs, constitue une lecture essentielle pour apprendre à mieux connaître ce peuple attachant et sa riche culture.
Inuit, d’Edmond Baudoin et Jean-Marc Troubs. Publié aux éditions L’Association, 176 pages.