À la fois fable écologique et conte philosophique, Le Visage de Pavil du scénariste et dessinateur Jeremy Perrodeau est une bande dessinée qui réussit à attiser notre sens de l’émerveillement à chaque page.
Alors qu’il survole la mer de Caspézie, Pavil, un scribe envoyé dans la région de Vernon par l’Empire afin de régler un contentieux administratif, est confronté à un violent typhon. Frappé de plein fouet par la foudre, son aéroplane s’écrase tout près du village de Lapyoza, un territoire autonome peuplé par une tribu isolée vivant à l’écart du reste du monde.
Les habitants, qui le soupçonnent d’être un espion, se méfient de cet intrus, mais comme son appareil est brisé et que le bateau pour Boduan, la plus proche cité impériale, n’accostera pas avant la prochaine double lune, ils décident de lui offrir l’hospitalité, à la condition qu’il participe aux tâches quotidiennes du village durant son séjour, qu’il n’approche pas des zones sacrées et qu’il ne participe pas aux cérémonies. Pavil accepte l’entente, mais en dépit de sa promesse, il essayera tout de même de découvrir les secrets que les Lapyozis cherchent à lui cacher.
Ouvrir Le Visage de Pavil et se plonger dans ses pages, c’est entreprendre un voyage dans un monde étrange et mystérieux. Si la trame narrative est somme toute assez linéaire et que le récit privilégie la contemplation à l’action, on ne peut s’empêcher d’apprécier la richesse et la complexité de l’univers imaginé par Jeremy Perrodeau, et ce dernier excelle dans ce que les Anglais appellent le « world building ». Le scénariste n’a en effet négligé aucun détail afin de créer une société élaborée et crédible, dans une démarche empruntant autant à l’ethnologie qu’à la science-fiction. Architecture aux structures inusitées, écriture et symboles ésotériques, aliments exotiques, costumes bizarres, rites complexes et religion centrée autour de Hodä, le Dieu aux mille visages, l’immersion au pays des Lapyozis fournit au lecteur une agréable sensation de dépaysement. On est rapidement happé par cet endroit ne ressemblant à rien d’autre, et à l’instar de Pavil, la découverte est une source constante d’émerveillement.
Épurées et tracées à l’aide de fines lignes, les illustrations de Jeremy Perrodeau dans Le Visage de Pavil possèdent un style visuel unique et très personnel. S’il y a un certain minimalisme derrière chaque élément individuel, l’ensemble finit par créer des panoramas d’une incroyable richesse, et il oppose à la rondeur et à la simplicité de ses personnages des décors anguleux à la géométrie complexe. Maisons sur pilotis, temples anciens, habitants marchant dans l’eau sur des échasses et deux lunes brillant dans le ciel comme un rappel constant que, malgré les apparences, nous ne sommes pas sur Terre. L’artiste délaisse le texte sur certaines planches pour illustrer la vie qui coule paisiblement, le temps qui passe. Perrodeau se sert d’aplats de couleurs pleines sans dégradés pour la colorisation, et sa palette restreinte, n’utilisant que deux ou trois teintes à la fois, ajoute énormément à l’ambiance singulière de l’album.
Rempli de mystère et de poésie, Le Visage de Pavil parvient à captiver le lecteur dès les premières pages grâce à son monde unique, et se laisse dévorer jusqu’à la fin. On peut parler d’une vraie réussite de la part de Jeremy Perrodeau, et d’une bande dessinée qui mérite définitivement d’être découverte.
Le Visage de Pavil, de Jeremy Perrodeau. Publié aux éditions 2024, 160 pages.