La cinéaste Jeanne Herry signe de loin son meilleur film avec le bouleversant Je verrai toujours vos visages, une œuvre rassembleuse (dans tous les sens du terme) et essentielle dont il est impossible de sortir indemnes.
Qu’évoquent pour vous les mots « justice restaurative »? Probablement pas grand-chose. Pourtant, il s’agit d’un programme qui existe à de nombreux endroits depuis une bonne décennie déjà, y compris au Québec (qui a d’ailleurs servi dans l’élaboration au film), permettant d’encadrer et d’ouvrir le dialogue entre des victimes et des condamnés. À noter que ces derniers ne sont pas nécessairement reliés par l’agression dont ils sont accusés ou victimes.
Suivant un colossal travail de recherche jusqu’aux limites de ses possibilités, la réalisatrice Jeanne Herry part de cette prémisse pour tisser un film choral choc d’une maîtrise complètement intimidante.
Après s’être fait plaisir avec Elle l’adore et avoir joué avec la délicatesse des émotions via le processus d’adoption avec son acclamé Pupille, elle redouble d’audace en élaborant un scénario béton qui devient le terrain de jeu idéal pour une distribution prestigieuse afin de repousser continuellement leurs limites. À ce titre, bien qu’on ait pleinement conscience de leur talent, Gilles Lelouche aura rarement joué de manière aussi juste et semblé aussi poignant dans cette vulnérabilité inédite, alors que Adèle Exarchopoulos et Leïla Bekhti continuent de confirmer pourquoi le cinéma français serait certainement moins lumineux sans leur présence.
Cela pourrait s’arrêter là. Pourtant, on ajoute à l’ensemble sa mère Miou-Miou plus fragile et touchante que jamais et Élodie Bouchez, qui comme plusieurs autres renouent toutes deux avec la cinéaste, et une panoplie de noms recommandables. Ceux-ci vont de la trop discrète Anne Benoît à la surprenante Suliane Brahim, en passant par le trop peu connu, mais prodigieux Dali Benssalah, ainsi que les accomplis Jean-Pierre Darroussin, Fred Testot et Denis Podalydès, tous plus juste les uns des autres.
Développé sous deux intrigues en parallèle, le film permet également de mettre en lumière différentes situations où la justice restaurative peut être utilisée. Ce procédé pourrait sembler handicapant, pourtant il ne fait au contraire que dynamiser l’ensemble et alléger au besoin l’émotion qui est aussi chargée et éprouvante qu’on peut se l’imaginer.
Toutefois, que tous soient rassurés, fort de sa candeur habituelle, Herry s’est assuré que l’ensemble ne soit jamais lourd, toujours brillamment lumineux et même, à de surprenantes occasions, assez drôle.
Ce mariage risqué quoique réussi des tons et des genres ne fait que renforcer la maîtrise de la cinéaste, qui impose son intelligence à tous les niveaux. Oui l’écriture est forte, la direction des comédiens exemplaires, mais il ne faudrait pas sous-estimer sa technique, discrète, mais faisant preuve d’une rigueur et d’une précision qui viennent soutenir tout le reste.
C’est que la réalisatrice s’entoure de collaborateurs réguliers qui, on s’en doute, comprennent exactement ce qu’elle désire. Ainsi, la musique de Pascal Sangla est discrète, jamais envahissante et surtout appuie sans jamais manipuler. De son côté, le montage de Francis Vesin est calculé et tire profit des performances, des environnements, en rythmant sans rien brimer.
L’exception demeure du côté de la direction photo, alors que Nicolas Loir a été recruté pour ce défi qu’on comprend comme étant fort différent. On pense notamment à la configuration des scènes de séances, où une dizaine de personnages discutent assis en cercle. Il faut noter que régulièrement, bien que dans le fond la majorité des scènes sont plutôt statiques, jamais on ne le ressent tellement dans la forme le tout est souvent dirigé comme des scènes d’action (de l’aveu même à la blague de la réalisatrice d’ailleurs), à la différence qu’elles sont purement verbales.
Il ne faut d’ailleurs pas se méprendre: d’un point de vue cinématographique, Je verrai toujours vos visages n’est rien de moins qu’une œuvre immense, magistrale.
9/10
Je verrai toujours vos visages devrait prendre l’affiche en salle au Québec le 17 novembre prochain via AZ Films.