Un spectacle sur la tyrannie du capitalisme et du conformisme en danse : dans Navy Blue, Oona Doherty traduit visuellement ses réflexions sur les enjeux sociaux qui l’habitent.
Présenté au théâtre Maisonneuve de la Place des Arts dans le cadre du FTA, Navy Blue a été imaginé par Oona Doherty, une étoile montante de la danse surtout en Europe où elle cumule les festivals. Chorégraphe originaire de l’Irlande du Nord, profondément engagée, elle évoque couramment des thématiques entourant le passé conflictuel de sa contrée, ainsi que le patriarcat, la bien-pensance, la lutte des classes et les contraintes sociales.
Navy Blue est son œuvre la plus ambitieuse à ce jour. Il s’agit d’un commentaire sur le conformisme en danse plus classique et sur la tyrannie du capitalisme. À ce sujet, elle affirme dans un entretien pour le FTA : « Je fais référence à la dureté du monde du ballet dans Navy Blue, mais le spectacle aborde toutes les formes de tyrannie. Il n’est pas unidirectionnel : d’un côté, les interprètes peuvent évoquer des prolétaires soumis au capitalisme, mais de l’autre, ils travaillent tous ensemble aussi ».
Conformisme en bleu
Sur une scène exempte de tout artifice, dix interprètes en bleu de travail et pieds nus forment une ligne avant de se disperser. Une allusion à la classe ouvrière qui prend également son sens dans la gestuelle des danseurs, tantôt l’échine courbée, tantôt le poing brandi.
Leurs habits tous identiques les lient à leur destinée et à leur fatalité. Ces bleus de travail ressemblent à s’y méprendre à des uniformes de prisonnier. Ici, la prison est sociale.
Les interprètes s’élancent frénétiquement, tourbillonnent et par moments, on a l’impression qu’ils tanguent tous ensemble dans un bateau pris dans la tempête. Une tempête métaphorique lourde de sens.
Des étreintes, des morts, des rébellions : Navy Blue exprime la douleur, la colère, la fugacité de la vie. Bercée par la musique enivrante du Concerto pour piano No 2 de Rachmaninov, la première partie est vouée à une fin funeste.
Des coups de balle résonnent à intervalle régulier et un à un, ils tombent. La scène s’obscurcit graduellement et les survivants se font de plus en plus anxieux. Une fois tous ces corps gisant au sol, une lumière bleue à la fois surréelle et électrisante se répand entre eux, telle une mer de sang.
Abrupte cassure
La seconde partie rompt avec la poésie corporelle du début. Renaissant dans un état quasi second, les protagonistes paraissent accéder à une sorte de purgatoire sombre. Que se passe-t-il après la mort ?
Pour cette section, Doherty a fait équipe avec Jamie xx qui a réalisé une trame sonore plus dystopique. À travers la bande sonore fiévreuse du musicien, Doherty récite un texte en voix hors champ. Ce poème brutal évoque l’horreur du monde et les coûts exorbitants d’une production comme celle-ci : « And what’s the point? Who’s it for? What will it do? »
Malgré cet apparent pessimisme, plus tard, la voix de Doherty se fait rassurante : « I will walk out of this theatre, and you will walk out of this theatre, and we will do unimportant things and those things, thank God, will matter. » La vie fait sens, après tout.
Une accolade finale apaise les âmes meurtries. Peut-être pour signifier qu’une issue positive est possible si on use de solidarité, d’empathie et de courage.
Viscéral, mais stéréotypé
D’une durée d’une heure, cette chorégraphie atteint son objectif : livrer une poignante interprétation des tyrannies à l’échelle sociale et dans le milieu de la danse. Viscéral, évocateur, Navy Blue flirte parfois avec les clichés. Souvent étourdissant, le spectacle laisse toutefois un goût doux-amer. L’envergure du sujet se prêtait à une conceptualisation plus audacieuse.