Batman est un personnage qui suscite beaucoup d’engouement en partant, mais lorsque l’album le mettant en vedette est scénarisé par nul autre que le grand Warren Ellis, comme c’est le cas de The Batman’s Grave, les attentes ne peuvent être que très élevées.
De prime abord, rien ne semble relier les meurtres de Vincent William Stannik, un ancien procureur de la ville Gotham souffrant de dépression et retrouvé mort dans son appartement avec la moitié du visage dévoré, et celui de Bobby Turton, un avocat véreux intoxiqué par une quantité impressionnante de drogues et poussé au suicide par son assistant vocal, mais au fil de son enquête, Batman découvre que les deux hommes sont les toutes premières victimes d’une croisade menée par un criminel se faisant appeler Scorn. Fils d’un tueur à gages de la mafia abattu devant ses yeux par la police alors qu’il n’était qu’un enfant, ce dernier a amassé une armée de tueurs implacables dans sa guerre contre les représentants du système judiciaire. Gravement blessé suite aux nombreuses altercations auxquelles il a pris part, le Chevalier Noir sera poussé jusqu’aux limites de ses capacités physiques dans sa tentative de stopper le carnage dans les rues de la ville, transformées en véritable champ de bataille.

The Batman’s Grave est scénarisé par Warren Ellis, à qui l’on doit des classiques de la bande dessinée comme The Authority, Planetary, ou Transmetropolitan. Avant cette traduction française chez Urban Comics, la série a originalement été publiée dans la collection Black Label (l’ancien Vertigo) de DC, signe que le récit s’adresse à un public adulte et averti. Le Chevalier Noir a toujours eu la réputation d’être le plus grand détective de la planète, et Ellis délaisse l’aspect superhéros du personnage dans cette intrigue pour se concentrer davantage sur les talents d’enquêteur de Batman. Il montre d’ailleurs dans plusieurs scènes le raisonnement et les déductions du célèbre justicier, qui se glisse dans la peau des différentes victimes afin de trouver des indices sur l’identité de leur assassin. Le résultat est un polar intriguant dont la conclusion, sans évidemment la dévoiler ici, s’avère tout de même un peu ambiguë.
Au lieu de puiser dans la riche galerie de vilains déjà existants, Ellis crée plusieurs nouveaux ennemis pour The Batman’s Grave, dont Scorn. Ce qui rend le récit vraiment intéressant, c’est la version d’Alfred Pennyworth, le majordome de Bruce Wayne, qui est à la fois cynique et très critique des agissements de son patron, allant jusqu’à affirmer « Certains soirs, j’ai l’impression de n’être qu’un vieux soldat qui aide un homme très riche à quitter son manoir dans sa voiture hors de prix pour aller tabasser des pauvres ». Lorsque Batman lui demande comment il peut passer ses journées dans le Manoir et ses nuits dans la cave, ce dernier rétorque : « En règle générale, je tiens le coup en me bourrant d’excellente cocaïne, monsieur ». Les dialogues sont d’ailleurs très savoureux. Lors d’une visite, le directeur de l’asile d’Arkham confie au Chevalier Noir qu’il lui garde une chambre, et dans une boutade, James Gordon déclare au justicier « Vous auriez adoré Danny. Il était parano, lui aussi ».

La mise en image de The Batman’s Grave a été confiée à Bryan Hitch, un artiste s’étant fait connaître avec la série The Ultimates chez Marvel et qui a déjà travaillé avec Warren Ellis sur The Authority. Ses dessins s’inscrivent dans le plus pur style des comics américains, quoiqu’ils possèdent une facture un peu plus réaliste. Si le code d’honneur de Batman l’empêche de tuer, il se bat sans retenue, et Hitch transmet bien la brutalité du Chevalier Noir, dont les coups de botte au visage font voler en éclat les dents d’un criminel et dont les Batarangs transpercent des mains ou des joues. Épiques, les scènes de bataille s’étalent souvent sur plusieurs pages sans beaucoup de dialogues, et pour accentuer l’impression de mouvement, le dessinateur place des dizaines d’objets ou d’éclats de verre en suspension dans les airs. Imprimée sur papier glacé et dotée d’une couverture cartonnée, l’édition contient les douze numéros de la série, et se termine sur une généreuse galerie de couvertures alternatives.
Grâce à une intrigue policière ancrée dans la réalité et mettant l’accent sur les talents de détective et le côté plus vulnérable du Chevalier Noir, Warren Ellis et Bryan Hitch injectent une touche bien personnelle au célèbre justicier avec cette bande dessinée, destinée aux adultes qui prennent encore plaisir à lire les aventures de Batman.
The Batman’s Grave, de Warren Ellis et Bryan Hitch. Publié aux éditions Urban Comics, 304 pages.