Jihane, une immigrante marocaine dans la quarantaine, a du mal à décrocher un premier emploi malgré ses compétences. C’est qu’elle ne correspond pas exactement à l’image qu’on se fait d’elle ici au Québec: diplômée et non voilée, alors qu’elle est musulmane! Son unique ressource pour survivre est de s’adapter à l’image que les autres se font d’elle.
La belle pièce Je suis un produit, signée et mise en scène par Simon Boudreault sur les planches de La Licorne, est une déclinaison sur le thème de l’image et de ses préjugés; image toujours simplifiée pour ne pas dire simpliste, que chacun se fait des autres. Évidemment, ce thème croise largement celui du commerce et des produits de consommation, puisqu’à l’heure des réseaux sociaux (et ce mouvement existait auparavant, mais de manière moins visible), notre image et toutes les données qui peuvent être compilées sur nous servent, si possible, à nous faire consommer davantage.
Mais là n’est pas l’essentiel, il me semble, dans cette pièce très drôle, très bien écrite et ficelée, pleine d’intelligence et d’autodérision, et magnifiquement mise en scène et interprétée.
L’écriture de Simon Boudreault est non seulement vive et relevée, elle est aussi formidablement structurée et pleine de rebondissements et de surprises.
Jihane s’adapte donc à la réalité de l’image qu’elle renvoie. Elle ne déclare pas tous ses diplômes, se revêt du voile qu’elle exècre, et décroche un emploi dans une entreprise de marketing, spécialisée justement dans l’exploitation de l’image des produits et des individus pour faciliter leur commerce. La simplification des critères, l’absence de nuances dans le but d’obtenir ce que l’on désire, vendre ou se vendre, n’est pas très éloignée du mensonge et des falsifications en tout genre.
Ainsi, dans une habile mise en abyme, les méthodes efficaces pour promouvoir des produits apparaissent convenir pour promouvoir et faire aimer des personnalités publiques, voire pour obtenir l’amour avec un grand A. Et c’est là que les choses déraillent et prennent une tournure à laquelle on ne s’attendait pas vraiment…
Les cinq interprètes de la pièce sont tous excellents, mais le rôle dévolu à Éric Bernier est particulièrement exigeant et produit une véritable performance d’acteur. Les décors simples, mais efficaces, avec images vidéo et tables de réunions de travail ajoutent au spectacle mené tambour battant, où l’on ne s’ennuie pas une seconde, où l’on rit beaucoup et où il nous est aussi donné à réfléchir sur une pensée simplifiée et peut-être de plus en plus répandue, qui nous rapproche toujours davantage de l’avoir en nous éloignant de l’être.
Je suis un produit, du 23 novembre au 18 décembre, à La Licorne