Avec l’irrésistible The Cabin in the Woods, Drew Goddard a donné naissance à un film culte qui avait pourtant bien failli ne jamais voir le jour. Six ans plus tard, il remet ça avec un fichtrement beau film qui n’est malheureusement pas aussi satisfaisant, n’en déplaise aux proportions encore démesurées des ambitions.
Ne vous méprenez pas, d’ailleurs: le titre évoque surtout l’état d’esprit des personnages. Le temps passé devant l’écran, lui, est particulièrement jouissif, alors que l’oeuvre s’inscrit dans la tendance foncièrement voyeuse de Goddard.
On le sait, celui-ci a le malheur des autres à cœur, et la majorité de ses projets consiste à observer des personnages dans des situations inusitées, personnages qui tentent du mieux qu’ils peuvent de se sortir du pétrin. Que ce soit au grand écran, comme avec The Martian, dont il a signé le scénario, ou même au petit écran avec la divine sitcom The Good Place dont il a réalisé plusieurs épisodes. Mieux encore, Goddard s’accorde toujours un poste de production, s’assurant que ses projets arrivent à respecter au plus près sa vision qui ne manque définitivement jamais de panache.
Cette fois, il se rapproche davantage de son travail sur la télésérie Lost, en plus d’ajouter des compositions de Michael Giacchino particulièrement surprenantes et subtiles à son travail. De fait, il revient avec une histoire où les destins de personnages tous plus différents et énigmatiques les uns des autres en viendront à s’entrecroiser encore et encore dans des revirements toujours plus tordus et inattendus. Avec un savoureux casse-tête qui hypnotise toujours plus, disons qu’on doit également beaucoup à l’excellence de la distribution, qui est particulièrement prestigieuse.
De la vedette au pouce carré
De Jeff Bridges à Jon Hamm, en passant par la toujours surprenante Dakota Johnson (dont la carrière et les choix cinématographiques évoquent définitivement les Robert Pattinson et Kristen Stewart après Twilight), Goddard renoue également avec Chris Hemsworth, à qui il avait offert sa chance lors de son premier film, avant qu’il ne devienne la mégastar qu’on connaît aujourd’hui. Et si l’on aurait aimé un peu plus de Nick Offerman, qu’il y a quelques surprises dans la distribution, et que Lewis Pullman évoque certainement Jamie Bell, c’est sans équivoque Cynthia Erivo qui détonne, quand elle ne vole pas carrément la vedette.
Fraîchement arrivée pour son premier grand rôle au cinéma, avec le très attendu Widows de Steve McQueen et Gillian Flynn qui devrait suivre sous peu, Erivo a un charisme indéniable et une intensité de jeu qui arrive à donner une profondeur inestimable à la complexité de son personnage. On se doute également que Goddard a lui-même a compris la perle qu’il avait sous la main, puisqu’il n’hésite pas une seconde à lui permettre d’éclipser tour à tour les plus grandes vedettes qui tentent de se mettre sur son passage.
Pour le reste, moins on en sait et mieux c’est. Les pistes sont tellement nombreuses et le film si minutieux qu’il est fort préférable de se lancer dans le labyrinthe sans rien savoir ou presque. On accepte alors le petit côté indéniablement Tarantino de l’ensemble et la magnifique ambiance rétro, époque oblige, qui se fait sentir par les costumes et les décors, en passant par le style généralisé et les chansons qu’on a ciblés. Il faut également accepter que Goddard n’a pas essayé de suivre le modèle du film qui a lancé sa carrière à Hollywood. Si son précédent titre plaçait ses pions avant de tout faire éclater, ici il préfère placer ses pions pour laisser la situation imploser de l’intérieur sans jamais apporter l’explosion à laquelle on pourrait s’attendre.
Que ce choix surprenant soit vu comme audacieux on non, il faudra le découvrir avec le temps, mais on regrette que beaucoup soit laissé en suspens et qu’au final, la dernière partie semble manquer de finition et, surtout, d’une fin, n’en déplaise à l’épilogue qui tourne définitivement trop de coins ronds.
Heureusement, ce projet passionnel de Goddard, son premier dont il assure à la fois l’entièreté du scénario et de la réalisation, est une lettre d’amour à un cinéma aventureux qu’on ne voit définitivement pas assez à Hollywood. L’excellence de l’équipe derrière la caméra mérite mention, comme le directeur de photographie Seamus McGarvey, fidèle partenaire de Joe Wright, qui donne probablement cette dimension plus théâtrale et colorée à l’ensemble, tout comme le montage réfléchi de Lisa Lassek, qui s’assure de ne rien précipiter.
Bad Time at the El Royale est donc une très belle et particulièrement amusante proposition qu’on savoure de bout en bout. Le rythme s’essouffle un peu, certes, chose normale pour un film de 140 minutes. En fin de compte, on aurait attendu un peu plus de l’oeuvre, ne serait-ce que pour recommander l’ensemble du périple.
7/10
Bad Times at the El Royale prend l’affiche en salles ce vendredi 12 octobre.
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