La tradition se poursuit, et les finissants de l’École nationale de l’humour font un arrêt au Zoofest pendant leur tournée de graduation avant de terminer cette année à Québec. Un rendez-vous qu’on ne manque pas, histoire de voir ce qui pourrait bien nous attendre humoristiquement parlant dans les prochaines années.
Reprenant avec panache le territoire du Studio Hydro-Québec du Monument-National, délaissé momentanément et tristement l’an dernier, ils y reviennent discrètement (épurant plus que jamais la mise en scène) en prenant une décision qui foudroie : une séparation. Alors que le Zoofest est l’une des rares occasions offertes aux finissants auteurs pour démontrer ce dont ils sont capables lors d’une heure de sketchs originaux interprétés par des comédiens de talent, on a cette année décidé de leur donner leurs propres soirées, indépendantes des finissants humoristes, créant plus que jamais un fossé, donnant l’impression que ces deux groupes de diplômés proviennent d’univers différents.
Un choix qu’on espère unique à cette année, puisqu’on aime bien les comparer côte à côte, et ainsi en maximiser leur force en tant que groupe et cohorte au lieu de les diviser.
Sketchetera: le spectacle des auteurs
S’inspirant visiblement du monde de l’improvisation, on y est allé d’une prémisse intéressante où les sketchs se développent comme différentes vignettes avec un lieu et des personnages précis qui donnent ensuite droit à tout un univers de possibilités. Disons d’ailleurs que l’imagination n’est pas ce qui manque chez les auteurs de cette année, tellement on part dans toutes les directions, des agents secrets aux chaumières, en passant par la télévision et les clubs de lecture.
Si le toujours électrisant Sébastien René est heureusement de retour, il trouve en ses trois autres partenaires une complicité et un talent notoires permettant d’élever ces textes qui parfois n’assument pas entièrement leurs idées farfelues. Pourtant bien écrits, on navigue entre le trop écrit et le trop aléatoire, alors que sans les interprétations fort instinctives des pétillants Gabriel Dagenais, Pascale Renaud Hébert et Joëlle Paré-Beaulieu, plusieurs de ces très belles idées ne voleraient probablement pas aussi haut.
Si on espère recroiser tous les beaux noms derrière ce spectacle dans un avenir proche, difficile de ne pas garder en tête le nom de Zoé Lamontagne, qui vient apporter une tangente vicieuse inattendue aux grands-mères et, surtout, au minigolf où sans le voir venir, deux amies cherchent un homme donateur de sperme.
Admettons aussi que Arianne Maynard-Turcotte ne passe pas inaperçue avec un sketch qui vient enlever l’envie de devenir astronaute, alors qu’un autre sur une sceptique carrément dans le champ permet de lancer cette magnifique réplique lorsqu’elle soupire face aux jeux de société : « Bon tu remets quoi en question cette fois, les jeux, la société ou la préposition de? ».
De son côté, Marc-André L’Abbée fait rire avec un barman prétentieux qui souhaite se faire appeler le « bièrologue » alors que Maryse Paradis montre un intérêt marqué pour les dames d’un certain âge, notamment avec une réflexion sur les « Gisèle de 57 ans » et une actrice de renom avec une mémoire qui flanche sérieusement.
On vous laisse découvrir le foisonnant talent des autres Pierre-Luc Racine, Gabriel J. Pelletier et Étienne Picotin qui viennent compléter cette cohorte d’auteurs plein d’audace.
Le show des humoristes
On dit souvent que la modération a bien meilleur goût, et c’est ce qui semble être resté en tête lors de la conception du spectacle de tournée des finissants de la cuvée 2018. Bien qu’on a repris les rênes du Studio Hydro-Québec du Monument-National, au même titre que les auteurs, on a pratiquement ignoré la mise en scène, à peine utilisé les éclairages, abandonné les projections ou la vidéo, et limité les accessoires pour laisser toute la place aux textes, oui, mais surtout à l’énergie et l’aisance de ses interprètes.
De fait, ce qui est tout de même assez rare dans une cohorte entière, on a ici décidé de ne pas y aller par quatre chemins, de ne pas se cacher derrière des alter ego, ou même des personnages, et de s’offrir à part entière. C’est ainsi que lors de leur prise de micro, pendant leur moment de grâce pour se mettre en vedette, la quasi-totalité des treize finissants de cette année a su faire usage d’un seul charme pour se faire valoir : eux-mêmes.
Il faut beaucoup de cran pour se livrer corps et âme, et Alexandre Brosseau-Camara par exemple l’a fait en parlant de la façon dont il a appris à aimer sa blonde française à distance, tout en essayant d’y conjuguer son amour pour les films d’horreur et Marc-André Grondin.
Si l’on a laissé croire dans l’introduction qu’on essaierait d’éviter les scandales après l’année humoristique qu’on a eue, on doit toutefois admettre que ces nouveaux finissants n’ont pas la langue dans leur poche et que leur jeune âge donne droit à beaucoup de testostérone. La sexualité est un sujet qui revient assez fréquemment et la vulgarité y trouve aussi son compte, ce qui donne l’impression que Vrak ne trouvera peut-être pas facilement beaucoup de nouveaux collaborateurs pour sa prochaine rentrée.
De fait, la rassembleuse Marylène Gendron, qui ironiquement médite sur sa confiance en soi, essaie de comprendre la possibilité d’un orgasme de trente-cinq secondes en maximisant un malaise, alors que Charles-Olivier St-Cyr laisse comprendre que tout homme cherche vraisemblablement sa mère dans sa blonde potentielle, indiquant que la sienne, Suzanne, prend souvent l’habitude, seins nus, de l’interrompre pendant l’acte pour le conseiller.
Il faut d’emblée admettre que l’aisance ne manque pas, ici. Tous les participants font de la scène leur salon et arrivent sans mal à nous emporter dans leurs histoires comme c’est le cas de Hugo Lamirande, tout droit issu de la banlieue d’Ottawa qui nous raconte comment il a dû amadouer la faune d’Hochelaga-Maisonneuve. Il représente aussi un autre point commun de la cohorte, soit la diversité des milieux de provenance comme Jean-Sébastien Hammal qui vient de Sherbrooke, qu’il décrit comme le théâtre alors que « tu y vas seulement si tu as de la famille », mais aussi de parents québécois et arabes ou Guillaume Lacelle de Laval, et sa façon de vivre avec l’urgence de vivre en ne manquant pas d’angoisser sur le fait d’aborder le paradis et l’ennui.
D’autres ont préféré y aller de méthodes plus classiques, passant du tac au tac sans nécessairement donner un lien entre leurs idées, leur permettant souvent de reposer sur des one-liner savoureux. Alex Meunier en est la meilleure preuve, son numéro s’appelant d’ailleurs simplement « stand-up » où il a autant parlé de sa réécoute du Titanic en allemand (qui n’est plus du tout romantique, avec imitation à l’appui), de ses inquiétudes sur comment coucher avec une femme-tronc et son incompréhension de l’artiste musical Pitbull. Un désir prononcé pour l’absurde qui manque un petit je-ne-sais-quoi pour atteindre les sommets. Alors que Jo Côté, en plus de se comparer à Pumba du Roi Lion, réactions fortes assurées de la foule, a décidé d’imiter sa famille, pendant que Gen Major a dévié sur le pourquoi du comment elle serait si bizarre en tentant de gérer l’annonce de son syndrome d’asperger.
Ce n’est toutefois rien à côté de Samuel Cyr, ici sans présentation. Irrésistible, il embrasse en totalité son homosexualité et parvient avec brio à user du sujet avec fraîcheur, déviant et exagérant les clichés comme on ne l’a pas nécessairement vu par le passé, ce qui n’est pas peu dire et certainement plus facile à vivre qu’à décrire ou même imaginer. Il faut l’entendre décrire le catalogue Sears comme de la porno gratuite pour les petits gars encore dans le placard pour comprendre que l’on n’a pas fini de le voir accaparer les projecteurs. C’est d’autant plus bizarre de faire suivre son numéro par celui de Jean-François Plante qui, en abordant l’univers du football et des commotions cérébrales, utilise souvent des insultes homophobes pour bien représenter le milieu.
Par contre, la foule s’enflamme avec Ismaël, le personnage de coiffeur homosexuel complètement exagéré livré avec une assurance endiablée par Vincent Morin, numéro judicieusement sélectionné pour le Gala des Denis Drolet lors de Juste Pour Rire, un énorme pas mérité pour un nouveau diplômé. Il embrasse son personnage avec un tel rythme et une telle conviction qu’on se délecte de pratiquement chacune de ses répliques très imagées avec bonheur tel « je suis passé à un pet d’être Jeanne D’Arc. »
Néanmoins, le petit coup de cœur va à Véronique Isabel Filion, qui mise sur l’audace en embrassant plusieurs genres, s’abreuvant de vulgarités et de malaises pour jouer à l’encontre de ce qu’elle projette, transformant sa petite taille et son apparence de fillette comme tremplin pour un humour à la frontière du politiquement correct. Avec un pince-sans-rire hautement maîtrisé, les réactions sont inévitables lorsqu’elle explique pourquoi elle aime aller acheter un condom avec un Kinder Surprise, qu’elle est l’option légale des pédophiles ou qu’elle aimerait accoucher juste pour entendre dire: « Miracle, un bébé qui accouche d’un bébé! » Un véritable feu roulant d’idées inattendues qui frappent la cible.
Enfin, si on salue l’aisance de cette jolie cohorte, on aimerait qu’ils utilisent cette énergie pour mieux organiser ce qu’ils ont à dire, alors que trop souvent leurs numéros ont pris des airs familiers où on ne faisait que se faire raconter un amusant quotidien. Les prises de risque n’étaient pas aussi nombreuses qu’on l’aurait souhaité et les numéros de groupe, tous inutiles, n’étaient certainement pas à l’image de l’immense chimie et affection qui les lient après ces belles années sous un même toit.
Il reste un dernier tour de piste à Sketchetera le spectacle des auteurs cuvée 2018, ce vendredi 20 juillet à 19 h. De leur côté, les humoristes offrent leurs prochaines représentations ce samedi 21 juillet, une à 18 h 30 et l’autre à 20 h 16. Tout cela a lieu au Studio Hydro-Québec du Monument-National dans le cadre du Zoofest.