À la sortie de la première de La Princesse Turandot, une production du Théâtre Tout à Trac, présentée au Théâtre Denise-Pelletier, on est facilement convaincu que tous les moyens sont bons et vraiment bons pour charmer la clientèle jeunesse et s’assurer de sa fidélité.
L’expression « adaptation libre » prend ici tout son sens. En effet, Hugo Bélanger semble s’en être donné à cœur joie en concoctant ce mélange surprenant et presque iconoclaste de théâtre japonais et de commedia dell’arte, le tout se déroulant en Chine… et joué en français.
Avant même le début de la pièce, nous sommes mis en présence d’un Arlequin qui amuse le parterre avec ombres chinoises et facéties. La chimie opère déjà, pour les chanceux des premiers rangs qui sont les seuls à comprendre les paroles du personnage, le reste de l’assistance produisant toujours le brouhaha habituel qui précède le lever de rideau. Mais c’est la le seul désagrément de cette production bien ficelée.
Le choix éditorial du metteur en scène, de marier deux styles de théâtre très différents, peut surprendre mais n’arrive pas à décontenancer les jeunes spectateurs qui en font leurs délices. Il est vrai que l’histoire de Turandot, personnage tragique provenant d’un compte des Mille et une nuits, pourrait apparaître un peu aride pour le jeune public. Mais M. Bélanger n’a pas seulement joué avec les styles : il a aussi allégé le scénario en remplaçant certains personnages et certains destins qui figuraient au départ dans la pièce d’origine, signée Carlo Gozzi, et par la suite dans l’opéra de Puccini.
La musique constitue un autre point fort de cette production. Elle est exécutée avec fougue, surtout sur des instruments à percussion et se colle à l’action à un tel point qu’on dirait parfois qu’elle la commande. Tout cela dans un décor en profondeur apportant une certaine grandiosité et un éclairage précis et ingénieux qui apporte à l’ensemble une majesté tout impériale.
Au cœur d’une telle organisation, la distribution fournit une interprétation de qualité quoiqu’un peu inégale. Si nous avons un « Prince Rien » qui semble avoir besoin de quelques scènes avant d’être à son meilleur, plusieurs protagonistes dont l’accent semble trop forcé et une Turandot dont l’élocution est parfois étouffée par son masque, l’ensemble se tient bien et certains personnages sont, disons-le, campés avec brio. Marie-Ève Milot fait un empereur sensible et compatissant. Le duo de Truffaldino et Tartaglia, personnages joués respectivement par Eloi Cousineau et Carl Poliquin, font un tabac auprès du public et semblent nés pour la commedia dell’arte, tout comme Nico Gagnon qui a probablement raflé le Masque de la soirée en interprétant un Arlequin, alias Abdallah, plein de vivacité, de drôlerie, d’assurance et nous démontrant qu’il a tout d’un acrobate.
La pièce se déroule de manière très rythmée, sans longueur et nous apparaît comme une grande chorégraphie qui remplit tout l’espace disponible. Est-ce que le public a aimé ? C’est peu dire ! Il lui a fallu moins de deux secondes pour être debout et commencer une ovation bruyante et enjouée. Laissez-moi prédire pour La Princesse Turandot le succès et non la mort.