Il faut que les hauts-fourneaux rougeoient, que les entrepôts soient pleins, que les turbines tournent à plein régime, et que le peuple soit content. Enfin, idéalement. Dans Captain of Industry, développé et publié par MaFi Games, c’est la qualité et la profondeur de la simulation qui permet au jeu de se distinguer de la pléthore de titres similaires où il faut maximiser son rendement pour la gloire de la main invisible du marché.
Échoué sur une île déserte en compagnie d’un groupe de résidents/travailleurs – sont-ils des associés ayant oublié de lire attentivement leur contrat? Mystère… –, vous devrez développer une économie florissante à partir de quelques ressources éparses et de gisements stratégiquement dispersés sur votre parcelle de terre.
Transformez du fer en lingots, faites pousser des patates, construisez des logements à partir d’une pile de conteneurs maritimes… On connaît la chanson, tout comme l’on connaît le concept consistant à progresser, peu à peu, en combinant construction de nouveaux bâtiments, fabrication de nouveaux produits et objets, et développement scientifique.
Il ne faut pas oublier, non plus, la sacrosainte notion de chaîne d’approvisionnement. Et si Captain of Industry est notamment moins strict en la matière que d’autres jeux du genre, y compris Factorio, où l’on comprendra bien vite que les tapis roulants, c’est la vie, l’amélioration de l’efficacité de notre production et de nos modes de transport demeurera le point central autour duquel s’articulera notre stratégie économique.
Particulièrement détaillé, surtout pour un titre développé par seulement deux personnes, ce jeu vient simuler certaines choses que l’on semble généralement tenir pour acquises. Pensons d’abord à la nécessité de trier les matériaux extraits du sol. Ces pierres et cette terre, en grande partie inutiles, surtout en début de partie, devront bien être déposées quelque part. Idem pour les déchets, ou encore les scories, à la suite du processus de transformation de notre minerai en métal.
Et donc, il faudra créer des zones de décharge. Zones qui, en prenant de l’ampleur, pourraient provoquer des éboulements. Idem pour les sites miniers, où le fait de creuser trop près de la tour de contrôle des excavations pourrait provoquer l’effondrement de cette dernière.
Ce souci du détail se transpose aussi du côté du transport de nos matériaux, produits de fabrication et autres objets récoltés, fondus ou résultant d’une réaction chimique: les produits finis iront sur des tapis roulants plats, tandis que le vrac sera plutôt destiné à un convoyeur spécial. Et les gaz et liquides, eux, iront dans un tuyau, bien entendu. Et si les camions, notre méthode de transport la plus versatile, pourront aisément être utilisés pour charrier les produits des deux premières catégories, impossible d’y échapper: il faudra bâtir un réseau de transport pour le reste… Ou pour l’ensemble de la chose, en fait.
Car oui, si l’on peut multiplier quasiment à l’envi les camions, et avoir donc une colonie qui tient davantage de la piste de course que de la cité-usine, ces camions consomment de l’essence et des pièces, deux « ressources » qu’il faudra produire, et qui n’existent pas en quantités infinies.
Nous voilà donc, comme dans tout bon jeu de gestion qui se respecte, à construire des labyrinthes de convoyeurs, tuyaux et autres installations similaires.
La richesse, la complexité de Captain of Industry est à la fois sa plus grande force et sa plus grande faiblesse. D’un côté, on apprécie franchement avoir la capacité d’influer sur toutes sortes d’aspect de notre île, de la limite à partir de laquelle un stock contenu dans un réservoir sera « exporté » par notre réseau de transport, aux cycles de production agricole de nos champs, en passant par la vitesse à laquelle nous accepterons de nouveaux arrivants, entre autres (très nombreuses) possibilités.

Joies et peines de la complexité
Mais cet avantage est aussi un défaut: déjà que l’étape de la production pétrolière et pétrochimique est toujours particulièrement compliquée, dans ce genre de jeu, nous devrons ici tenir compte des différences entre la vapeur à haute pression et la vapeur sous pression moderne. Notre génératrice a-t-elle assez de puissance pour faire tourner plus qu’une seul groupe électrique? Et qu’en est-il de cette possibilité de se tromper et de définir une zone d’extraction minière en sélectionnant seulement le sous-sol, plutôt que la couche de surface, provoquant ainsi l’arrêt des opérations et une bonne séance de grattage de crâne?
Mais le plus grand hic est sans doute le fait qu’après quelques heures de jeu, après avoir débloqué plusieurs fonctionnalités relativement avancées et automatisé une partie non négligeable de nos installations industrielles, le guide faisant office de tutoriel prend subitement fin.
Non pas qu’il soit nécessaire de nous agiter l’équivalent d’un trousseau de clés devant le visage pour nous stimuler, mais c’est en reprenant l’exemple de Factorio que l’on peut mieux comprendre la situation: dans ce titre, avant l’expansion Space Age, l’objectif du jeu consistait à lancer une fusée dans l’espace, afin de quitter la planète sur laquelle nous nous étions écrasés.
Quel est l’objectif de Captain of Industry, au juste? Oui, il s’agit d’un titre qui est encore en accès anticipé; les développeurs viennent d’ajouter des trains et une fusée au menu, notamment pour aller chercher des ressources minières en orbite. Mais veut-on simplement nous pousser à développer toujours plus? À favoriser le parfait bonheur de nos citoyens? À atteindre un nombre maximal de produits complexes à fabriquer? On l’ignore.
Et sans cette pression pour aller plus loin, sans cet objectif principal que l’on voudrait atteindre à tout prix, poursuivre une partie après quelques heures semble davantage tenir de la curiosité que d’un besoin viscéral de franchir une ligne d’arrivée, aussi imaginaire soit-elle.
Captain of Industry est un excellent jeu, même si sa complexité est parfois frustrante. Et peut-être qu’il s’agit d’un titre qui, à l’instar de toutes sortes de jeux, tels que Hearts of Iron IV, ou encore un jeu de rôle en monde ouvert, ne prennent fin que lorsque nous le décidons. Peut-être que les développeurs bonifieront leur guide, histoire d’amener le joueur à se dépasser constamment.
En attendant, il s’agit probablement de l’une des simulations économiques et industrielles les plus abouties des dernières années. Un bijou vidéoludique, mais surtout une grande réussite pour une si petite équipe. À découvrir, absolument.
Captain of Industry (en accès anticipé)
Développeur et éditeur: MaFi Games
Plateforme: Windows (testé sur Steam)
Jeu disponible en français (interface)