Les consommateurs à la recherche de produits de luxe doivent tenter de convaincre les grandes marques pour que celles-ci leur offrent l’accès privilégié à des articles spécifiques, appelés « biens d’enrichissement ». Ces produits, savent ces mêmes consommateurs, se revendront beaucoup plus cher sur le marché du seconde main, révèle une nouvelle étude portant sur les montres de luxe.
Ces travaux sont publiés dans le Journal of Marketing.
Ainsi, des chercheurs de l’Université de Bath et
« Les marques de luxe ont réussi à construire un système de « privilège d’enrichissement » qui restreint l’accès à une poignée d’élus, renforce la désirabilité et la valeur future de leurs produits, et qui se distingue en vertu d’une nouvelle logique économique: plusieurs articles de luxe gagnent de la valeur sur le marché de seconde main », soutient le Dr Roman Pavlyuchenko, de l’Université de Bath.
« Dans cette « économie de l’enrichissement », les aspirants acheteurs sont prêts à bien des choses pour convaincre les marques de luxe qu’ils ont le droit d’avoir cet accès, y compris en développant des relations, en dépensant des fortunes sur d’autres produits moins prisés, et en offrant des cadeaux aux vendeurs », mentionne pour sa part la professeure Delphine Dion, du département de marketing de l’ESSEC.
« Les récompenses pour cette stratégie de « séduction » sont considérables: il existe la possibilité d’encaisser de gigantesques profits immédiatement, ou encore de transformer des espèces sonnantes et trébuchantes en ce qui sera sans doute un investissement à long terme sécuritaire », ajoute Sonja Prokopec, elle aussi de l’ESSEC.
L’étude démontre ainsi que les marques de luxe offre le privilège d’acquérir des biens pouvant faire office d’investissements à un petit groupe de consommateurs ayant répondu à plusieurs critères. Ceux-ci sont ainsi incités à ne pas revendre les montres de luxe immédiatement, ce qui restreint l’offre sur le marché et fait gonfler la valeur à la revente.
De plus, ce marché se distingue par l’existence d’une pléthore de plateformes de revente qui viennent sous-tendre l’importance des biens d’enrichissement comme des placements, ce qui aide à créer une transparence et une liquidité sur les marchés. Tout cela, écrivent les chercheurs, est crucial pour faire fleurir l’économie de l’enrichissement.
Un privilège
« Mais la clé de tout ça est ce que nous appelons la « monétisation du privilège de l’enrichissement ». Les rares consommateurs qui réussissent à obtenir ce privilège peuvent s’attendre à une série de gains personnels. Ils peuvent accéder à un club exclusif d’amateurs de montres aux poches très profondes. Ils peuvent ensuite se positionner comme étant des gens riches, et ils peuvent laisser leurs montres prendre de la valeur et les transmettre en héritage. Ou ils peuvent réaliser des gains financiers rapides en revendant ces montres au bon acheteur, au bon moment », a poursuivi le Dr Pavlyuchenko.
Selon les auteurs des travaux, l’aspect le plus important, pour les marques, consiste à gérer les opportunités d’enrichissement tout en préservant leurs revenus et leur désirabilité. Ils ont ainsi identifié une nouvelle « stratégie d’enrichissement » où ces marques deviennent des curateurs d’enrichissement et transforment des biens en opportunité de gonfler son portefeuille.
Dans l’étude, il est ainsi indiqué que cela suscite des questionnements à propos de possibles pratiques commerciales injustes,.
« Rolex a été mise à l’amende pour un montant de 100 millions de dollars américains, en France, pour avoir empêché ses détaillants d’offrir librement certains modèles de montres. Et il y a actuellement un recours collectif en cours, aux États-Unis, contre Hermès, qui pousserait les consommateurs à acheter d’autres produits avant d’avoir accès aux sacs à main Birkin et Kelly, particulièrement recherchés », précise encore le Dr Pavlyuchenko.
Par ailleurs, cette façon de faire entraîne aussi des problèmes en ce qui concerne la circularité économique, soit le modèle de production et de consommation de ressources qui implique le partage, le prêt, la réutilisation, les réparations, le réusinage et le recyclage de matériaux et de produits, pendant aussi longtemps que possible.
« Le cercle vicieux d’«acheter, vendre, acheter, vendre» se poursuit, alors que les consommateurs continuent de réinvestir leurs revenus. Cela reflète les preuves croissantes de l’existence du côté sombre de la « circularité ». Et puisque cette circularité est rapidement en train de devenir un dogme commercial, nous encourageons tous les décideurs à chercher des approches alternatives à la question de la durabilité », soutient la Pre Dion.