Un million d’utilisateurs qui dépensent chacun au moins 1 $ par mois: le studio de jeux vidéo montréalais Squido, fort du succès de son jeu en réalité virtuelle DigiGods, ne cache pas ses ambitions, dans la foulée de l’obtention d’un montant de 3,7 millions de dollars, en octobre dernier. Pour Éric Laurent, directeur du marketing et cofondateur de l’entreprise, ce n’est que le début. Entrevue.
Avec sa tuque sur les oreilles et son bureau encombré, M. Laurent semble correspondre aux clichés d’un travailleur d’un studio indépendant. Sauf que DigiGods, un jeu gratuit, disponible via la plateforme de réalité virtuelle de Meta, a plus que le vent dans les voiles. Y a-t-il même de quoi donner des sueurs froides à Roblox, le géant incontesté du genre?
« C’est une bonne question. Il a des gens qui comprennent, mais d’autres qui disent que c’est trop ambitieux (de placer Roblox dans le collimateur, NDLR). Je sais que Roblox a récemment publié ses états financiers, et c’est immense! Nous, nous sommes une petite équipe de 22 employés à Montréal qui développons un jeu en VR », mentionne M. Laurent dans un entretien accordé à Pieuvre.ca.
« Il n’en reste pas moins, poursuit-il, qu’il y a effectivement un gros élément de contenu généré par les utilisateurs. C’est un jeu vraiment social. Et notre vision, c’est d’offrir toujours plus d’outils pour permettre aux utilisateurs de créer ce qu’ils aiment. C’est comme cela que Roblox a commencé. »
Toujours selon M. Laurent, la différence principale, avec ce géant, mais aussi avec d’autres joueurs sur le marché, c’est que Roblox, notamment, s’il est accessible en réalité virtuelle, « est conçu pour un écran traditionnel, ce qui se retrouve aussi dans les outils de création qui sont offerts ».
« Si moi, je veux créer mon expérience Roblox, je dois télécharger l’éditeur de contenus; c’est compliqué, c’est pratiquement un moteur graphique pour jeux vidéo! Alors que de notre côté, tout se passe dans le casque de réalité virtuelle, qu’il s’agisse de créer ou de jouer avec des amis. Notre vision, c’est de continuer à évoluer en ce sens, et d’être un jeu «d’abord en réalité virtuelle», à l’opposé de Roblox et de Rec Room (un autre concurrent, NDLR). »
Privilégier la réalité virtuelle
Cette question de l’accessibilité, DigiGods nécessitant obligatoirement un casque de réalité virtuelle, dont le prix s’ajoute à celui d’un ordinateur, par exemple, sans compter les limitations techniques pour les gens portant des lunettes, etc, risque-t-elle de limiter les perspectives de croissance du jeu?
« C’est sûr qu’on pense déjà à la prochaine étape. Une fois que ça explose et que nous avons des millions d’usagers en VR… Quelle est la prochaine étape? C’est sûr que nous avons déjà des plans pour cela; on veut toujours rester d’abord sur réalité virtuelle, mais le but, c’est d’offrir quelque chose qui va vraiment accompagner notre vision VR d’abord », mentionne Éric Laurent.
Pour rejoindre davantage son public, qui est largement composé de jeunes joueurs, Squido pourrait ainsi éventuellement développer une version de DigiGods pour appareils mobiles « où je pourrais me connecter, aller jaser avec mes amis qui sont dans une simulation… utiliser la caméra de mon téléphone pour me déplacer, profiter d’un service de clavardage vocal », indique encore le directeur marketing de chez Squido.
Dans le communiqué de presse accompagnant l’annonce de la tranche de financement de l’ordre de 3,7 millions de dollars, d’ailleurs, on souligne que « le public cible de DigiGods est exponentiel », et que si 34 millions de casques de réalité virtuelle ont déjà trouvé preneur, dans le monde, on compte environ « 1,3 milliard d’adolescents sur Terre ».
En entrevue, Éric Laurent reconnaît que dans ce nombre, on compte non seulement bien des adolescents qui n’ont pas accès à un casque de réalité virtuelle, ou encore, dans bien des cas, ne sont pas connectés. Sans compter ceux qui, dans le pire des cas, n’ont même pas accès à de l’eau potable à la maison, et encore moins à l’électricité.
Malgré tout, on sent que M. Laurent, et Squido dans son ensemble, constate qu’il existe un engouement certain pour le genre d’expérience créative et sociale offerte par DigiGods.
La rentabilité au plus tôt
Cela étant dit, Éric Laurent indique justement que l’objectif n’est pas de multiplier les rondes de financement, à l’instar de celle survenue en octobre. Au contraire, la compagnie, dit-il, vise à être rentable le plus rapidement possible.
« Pour nous, on veut aller chercher un total d’un million d’utilisateurs dans les prochains mois. Pour la réalité virtuelle, le temps des Fêtes est une immense occasion; il y a beaucoup de développeurs qui peuvent engranger jusqu’à 10 fois plus d’argent pendant cette période. Et donc, il y a des gens qui regardent nos projections et qui s’en étonnent, mais Noël, c’est vraiment rentable », mentionne-t-il.
D’où cette idée d’aller chercher « un ou deux dollars » par utilisateur, chaque mois. « Si on a un million d’utilisateurs… », dit M. Laurent.
Et cet argent est acquis lorsque les joueurs achètent la monnaie virtuelle de DigiGods, les K-OS, dont le prix varie de 7 $, pour 1000 K-OS, à 55 $ pour 11 000 de ces écus numériques. À quoi sert cet argent, d’ailleurs? Comme l’indique Éric Laurent, ces espèces virtuelles servent à déverrouiller des objets qu’il est ensuite possible d’utiliser dans le jeu pour créer ses propres mondes et y inviter ses avis, ou de parfaits inconnus.
Théoriquement, il serait possible de jouer à DigiGods sans rien dépenser, en ne faisant qu’explorer les créations des autres – le jeu est « gratuit », à la base, après tout –, mais chez Squido, on espère évidemment que l’on déliera les cordons de la bourse, même s’il est effectivement possible d’accumuler des K-OS uniquement en jouant au jeu.
Éric Laurent se dit aussi très conscient des enjeux liés à l’utilisation de la carte de crédit parentale pour acheter ces fameux K-OS, le public cible du jeu étant après tout mineur. « Nous ne voulons évidemment pas que des enfants « volent » la carte des parents. D’où cette possibilité d’accumuler des K-OS en jouant simplement à DigiGods, à raison de 400 K-OS maximum par jour », dit-il.
« Ce qui coûte plus cher, ce sont tous les ajouts cosmétiques, les skins, etc., qui sont vendus à un prix de 4000 à 8000 K-OS. »
Et la suite des choses? Éric Parent évoque un possible rachat par Meta, à terme, entre autres options. Mais cela dépend d’une croissance soutenue, dit-il. Et de l’atteinte de la rentabilité.
En attendant, le temps des Fêtes qui est à nos portes sera sans doute propice à la construction de mondes virtuels, un casque enfoncé sur la tête. Il ne s’agit pas encore de plonger carrément dans cet univers numérique, comme dans le classique de science-fiction TRON, mais cette réalité semble se rapprocher toujours un peu plus.