Selon le consensus en vigueur depuis 40 ans – depuis que six missions lunaires Apollo ont permis de rapporter près de 500 kilogrammes de sols et de roches, et que l’analyse de ceux-ci a déterminé qu’ils ressemblaient fortement à ce que l’on trouve sur Terre –, notre satellite naturel doit son existence à la collision d’une protoplanète avec la nôtre, il y a environ 4 milliards d’années. Une nouvelle étude remet toutefois cela en question.
Ces travaux, réalisés par deux chercheurs de l’Université Penn State et publiés dans The Planetary Science Journal, évoquent une autre possibilité pour expliquer l’origine de la Lune: celle-ci aurait été capturée lors d’un « frôlement » entre une très jeune Terre et un binôme terrestre – la Lune et un autre objet rocheux.
Au dire de Darren Williams, professeur d’astronomie et d’astrophysique et l’un des auteurs de l’étude, « la conférence de Kona, en 1984 (au cours de laquelle l’actuelle théorie de création de la Lune fut adoptée), a donné le ton pendant 40 ans ».
Mais selon ce spécialiste, des questions demeurent. Par exemple, une lune qui se crée à la suite d’une collision planétaire, et qui adopte sa forme alors que les débris de ladite collision finissent par créer un anneau, puis un objet stellaire, devrait orbiter autour de l’équateur de la planète. Pourtant, notre lune se trouve sur un plan orbital différent.
« La Lune est davantage alignée avec le Soleil qu’avec l’équateur terrestre », a souligné M. Williams.
Selon la théorie alternative des deux chercheurs, la gravité terrestre a séparé le binôme de « visiteurs », arrachant la Lune, qui est alors devenue notre satellite naturel.
L’exemple de Triton et Neptune
Toujours pour M. Williams, il existe des preuves, ailleurs dans le système solaire, que cette situation peut effectivement se produire. Triton, la plus grande lune de Neptune, serait l’un de ces objets arrachés. La théorie actuelle veut effectivement que Triton a été retiré à l’orbite de la ceinture de Kuiper, où environ 10% des objets célestes seraient des binômes.
Triton orbite ainsi autour de Neptune de façon rétrograde, soit à l’inverse de la direction de la rotation de la planète. Ce satellite possède aussi une orbite largement inclinée, soit 67 degrés par rapport à l’équateur de la planète gazeuse.
Selon M. Williams et son collègue Michael Zugger, la Terre aurait pu même capturer un satellite encore plus grand que la Lune – un objet de la taille de Mercure, voire de Mars –, mais l’orbite qui en aurait résulté n’aurait pas été stable, disent-ils.
Le problème, de l’avis des chercheurs, est que « l’orbite de capture » – celle suivie par la Lune – a commencé sous la forme d’une ellipse allongée, plutôt que d’un cercle. Avec le temps, influencée par des marées extrêmes, la forme de cette orbite a changé.
« Aujourd’hui, la marée terrestre est en avance de la Lune », mentionne M. Williams. « Les marées hautes accélèrent l’orbite. Cela lui donne un peu d’élan. Avec le temps, notre lune s’éloigne. »
L’effet est inversé si la Lune est plus près de la Terre, ce qui aurait été le cas immédiatement après sa capture. En calculant les changements de marées et la taille et la forme de l’orbite, les chercheurs disent avoir déterminé que l’orbite elliptique initiale de la Lune s’est contractée sur des milliers d’années.
Cette même orbite est aussi devenue plus circulaire, jusqu’à ce que la rotation lunaire corresponde à celle de la Terre, comme cela est le cas aujourd’hui.
À ce point, estime M. Williams, cette évolution liée aux marées s’est sans doute inversée, et la Lune a commencé à s’éloigner peu à peu. Ainsi, chaque année, notre satellite s’éloigne d’environ trois centimètres. À sa distance actuelle, soit un peu plus de 384 000 km, la Lune ressent davantage la force de la gravité solaire.
« La Lune est maintenant si éloignée que le Soleil et la Terre se font concurrence pour obtenir son attention… Les deux objets tirent dessus », a déclaré M. Williams. Et pour celui-ci, si ses calculs démontrent, sur le plan mathématique, qu’un satellite capturé auprès d’un corps binaire pourrait se comporter de la façon dont le fait notre lune, il n’est pas certain que c’est bel et bien de cette façon que la Lune est devenue l’astre que nous connaissons aujourd’hui.
« Personne ne sait comment la Lune s’est formée », a-t-il rappelé. « Depuis quatre décennies, nous avions une possibilité pour expliquer ce phénomène. Maintenant, nous en avons deux. Cela ouvre la porte à toutes sortes de nouvelles questions et d’occasions de recherche. »