Pour le commun des mortels, la bourse est quelque chose de largement nébuleux. Il y a bien eu Wall Street, d’Oliver Stone, ou encore The Wolf of Wall Street, mais ces longs-métrages, tout aussi influents puissent-ils avoir été, nous montraient les riches, les puissants, ceux qui semblent contrôler le système. Dumb Money, réalisé par Craig Gillespie, se situe à l’opposé de cette tendance, en s’articulant autour du petit investisseur et d’un YouTubeur portant un bandana.
Peu de temps après l’éclatement de la pandémie, le YouTubeur en question, appelé Roaring Kitty sur la plateforme vidéo de Google, mais aussi DeepFuckingValue sur Wall Street Bets, la section de l’agrégateur Reddit où l’on discute de la bourse, justement, a peu à peu réussi à fédérer des dizaines, puis des centaines de milliers de petits épargnants autour de son idée selon laquelle GameStop, la chaîne de magasins de jeux vidéo, était sous-évaluée sur les marchés.
Pire encore, de grands fonds spéculatifs avaient déjà misé gros sur le déclin de l’entreprise, et auraient donc encaissé les milliards dans le cas d’une faillite. Soudainement, Monsieur et Madame Tout-le-Monde s’est mis à investir dans GameStop. Non pas nécessairement pour sauver la compagnie, mais plutôt pour envoyer paître ces entreprises aussi gigantesques qu’anonymes, aux poches particulièrement profondes. Car si des millions de gens achètent des actions, le cours de celles-ci augmentent, et ceux qui ont misé sur la baisse de leur valeur vont perdre des milliards. Dont acte.
Et ce faisant, ce seront, dit-on, les colonnes du temps ultracapitaliste qui seront ébranlées, la revanche du quidam sur les ultrariches, au moment où chacun doit porter le masque, rester à la maison et sombrer peu à peu dans la dépression, alors que les puissants vivent la belle vie.
Sauf que… sauf que, la chose est un peu plus nuancée. Et dans son film, Gillespie, qui n’a pas voulu donner directement dans le documentaire, mais qui s’inspire forcément de faits vécus, et de faits vécus particulièrement récemment, évidemment, cette question de la profondeur du sujet est un peu évacuée.
Oui, on trace un portrait franchement intéressant de ces individus, provenant de tous les horizons, souvent avec seulement quelques dollars en poche, qui verront en GameStop une façon de faire de l’argent et de donner une leçon aux riches. Et au coeur de cette « révolte », Paul Dano joue un excellent Keith Gill, alias Roaring Kitty.
Et oui, il est agréable de voir ces riches, ces experts du système, ces privilégiés perdre peu à peu de leur superbe, alors que leurs avoirs disparaissent un peu plus à chaque jour qui passe.
Mais là où Gillespie, en fin de film, évoque « le début d’un mouvement planétaire », il aurait plutôt fallu comprendre qu’il s’agissait sans doute d’un phénomène unique, résultat d’une conjonction de plusieurs facteurs (crise sanitaire, popularité virale de Gill, facilité d’achat d’actions sur une application sur téléphone, etc.). De fait, s’il existe, encore aujourd’hui, des gens qui souhaitent « combattre le système » en refusant de vendre certaines de leurs actions, ceux-ci sont largement dans leur propre monde, et vont s’accrocher à n’importe quelle information pour justifier leur vision des choses, plutôt que de s’appuyer sur des faits.
Dumb Money est un film sympathique, avec de bons acteurs, à propos d’un phénomène unique qui s’est produit à une époque qui nous semble aujourd’hui bien lointaine. Mais il ne s’agit en aucun cas d’un manifeste pour une révolution boursière, tant s’en faut.