Dans le contexte des grands mouvements de l’Histoire avec un h majuscule, les vies personnelles des simples citoyens sont souvent emportées par ces grandes marées politiques et sociales. Pour le réalisateur Vlad Petri, toutefois, il était nécessaire de remettre ces individus à l’avant-scène. Dont acte, avec Between Revolutions, présenté dans le cadre du Festival du nouveau cinéma (FNC).
Est-ce un documentaire? Une docufiction? Carrément de la fiction? Quoi qu’il en soit, on y suit les vies de Maria, une Roumaine, et de Zahra, une Iranienne, qui se rencontrent à l’Université de Bucarest dans les années 1970. Mais leur amitié – et leur amour, comprendra-t-on rapidement – sera mise à rude épreuve lorsque Zahra décide de rentrer au pays, alors en proie à la tourmente, dans le contexte de l’effritement rapide du régime du Shah.
Entre les deux femmes commence alors une correspondance qui va s’égrener au fil des ans. Chacune pense à l’autre, oui, mais offre également – et surtout – un point de vue tout à fait personnel, voire parfois poétique, sur les grands chambardements de la deuxième moitié du 20e siècle. L’une et l’autre doivent d’abord se conformer aux normes sociales restrictives de l’époque et vivre une vie conservatrice et bien rangée.
Mais il s’agit aussi de survivre, de cacher ses pensées, cacher ses rêves de liberté. Car les deux femmes vivent chacune dans une dictature où les pensées « déviantes » sont prestement punies, parfois carrément par la peine capitale. Pour Maria, c’est la pression croissante de l’appareil totalitaire de Nicolae Ceausescu, au sein de l’organisation tyrannique plus vaste qu’est l’URSS. Pour Zahra, c’est le fanatisme intégriste de la République islamique des ayatollahs.
Comment ces deux femmes ont-elles pu continuer à correspondre pendant toutes ces années? C’est là que le film révèle ce qui est en quelque sorte un tour de passe-passe: les lettres échangées entre les deux femmes, et qui sont narrées en voix hors champ, n’existent pas. Du moins, pas dans le contexte du film. Il s’agit plutôt de déclarations inspirées par des documents recueillis par les polices secrètes des deux pays, avec certains ajouts poétiques.
Supercherie? Oui et non. Quoi qu’il en soit, ces lettres, en plus de l’utilisation d’excellentes images d’archives, permettent à Vlad Petri de présenter un documentaire à la fois tonitruant et réservé: une fenêtre sur le micro et le macro, sur l’individuel et le commun, sur la vie en filigrane de l’histoire.
Relativement court, mais d’autant plus efficace et percutant, Between Revolutions injecte une bonne dose d’humanité dans des transformations politiques qui ont longtemps broyé les individus ordinaires.