Thorgal Saga offre à différents créateurs la chance d’ajouter leur propre pierre à l’édifice de ce héros emblématique de la bande dessinée franco-belge créé par Jean Van Hamme et Grzegorz Rosiński en 1977, et c’est au scénariste et illustrateur Robin Recht que revient l’honneur d’inaugurer cette nouvelle série, avec l’album Adieu Aaricia.
Depuis leur tendre jeunesse, Thorgal et Aaricia savent qu’ils sont destinés l’un pour l’autre, et en dépit des nombreuses épreuves que le couple a traversées au fil des ans, comme lorsque Thorgal frappé d’amnésie est devenu le pirate Shaïgan-sans-merci et s’est retrouvé en couple avec Kriss de Valnor durant quelques années ou quand, persuadé que son époux avait péri, Aaricia s’est laissé séduire par le sournois Lundgen et a eu une brève aventure avec lui, ni les hommes ni les Dieux n’ont jamais réussi à séparer bien longtemps les deux amants. Robin Recht frappe donc un grand coup avec Adieu Aaricia, le premier tome de la nouvelle série Thorgal Saga, puisque le récit s’ouvre sur une cérémonie funéraire où l’on peut voir le héros, maintenant âgé de soixante-dix ans, mettre le feu à la barque transportant le cadavre de sa douce moitié, morte de vieillesse.
Accablé de chagrin, Thorgal reçoit la visite du serpent Nidhogg, son vieil ennemi. Ce dernier lui offre un étrange cadeau, l’anneau d’Ouroboros, un artéfact magique lui permettant de voyager dans le passé et d’ainsi revoir une dernière fois sa bien-aimée. Malgré sa méfiance, le Viking ne peut résister à enfiler la bague à son doigt, et il se retrouve immédiatement transporté soixante ans plus tôt, dans le village de son enfance. Il tombe nez-à-nez avec son alter-égo de dix ans, et apprend qu’Aaricia a disparue, un événement qui n’a pourtant jamais eu lieu. Le jeune et le vieux Thorgal partent donc à sa recherche ensemble, et découvrent qu’elle a été enlevée par les Baalds, des guerriers sauvages revêtus de peaux de loups qui veulent la sacrifier à leur Dieu. Si la fillette meurt, toute sa vie, sa famille, ses enfants, disparaîtront avec elle. Le héros fera donc tout en son pouvoir pour empêcher que le passé ne soit irrémédiablement altéré.
En plus de tuer Aaricia, Robin Recht fait quelque chose d’inédit dans ce premier album de Thorgal Saga : il expose la fragilité du personnage comme jamais auparavant, en mettant en vedette un Thorgal septuagénaire dont le corps décrépit n’est plus un allié aussi fiable. Comme c’est souvent le cas dans la série, l’auteur injecte des éléments de science-fiction à ce récit prenant place à l’époque des Vikings, en utilisant le principe du voyage dans le temps, et les nombreux paradoxes qu’il peut engendrer. Après tout, ce n’est pas la première fois que le héros, épris de liberté, défiera le destin plutôt que d’en être prisonnier, mais sans vendre la mèche, la conclusion risque de choquer certains lecteurs de longue date, alors que le jeune Thorgal de dix ans posera un geste étonnant dans les dernières pages de l’album, dont les répercussions iront jusqu’à bouleverser profondément la mythologie établie par la cinquantaine de tomes précédents.
Sans être aussi raffinés que ceux de Grzegorz Rosiński, les dessins de Robin Recht dans Adieu Aaricia sont splendides, et respectent à la lettre le style visuel établi par la série. Son découpage de l’action est impeccable, et comme il dispose d’une centaine de pages pour raconter son histoire (une longueur inhabituelle pour un album de Thorgal), il prend le temps de créer des atmosphères riches et de laisser parler les paysages, dont des forêts denses et touffues, la furie de la rivière qui se déchaîne, un temple creusé dans la montagne et éclairé par des torches ou un village niché au creux d’un fjord, autant de décors grandioses aux côtés desquels les protagonistes de l’intrigue revêtent une taille bien insignifiante. Recht fait aussi une utilisation judicieuse des ombres et des aplats de noir afin d’ajouter de la profondeur à ses scènes, et s’amuse à créer des contrastes intéressants, notamment une bataille brutale et sanglante prenant place sous une neige abondante qui tombe paisiblement.
Plutôt que de livrer un récit s’inscrivant dans la plus stricte continuité, Robin Recht n’hésite pas à prendre des risques avec Adieu Aaricia. Cette approche scénaristique ne plaira peut-être pas à tous, mais elle ne laissera assurément personne indifférent. Pour cette raison, cet album constitue une entrée en matière très prometteuse pour la série Thorgal Saga.
Thorgal Saga : Adieu Aaricia, de Robin Recht. Publié aux éditions Le Lombard, 112 pages.
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