On dit souvent qu’il est préférable d’écrire à propos de sujets que l’on connaît bien, et Matthieu Blanchin a suivi ce conseil à la lettre avec la bande dessinée autobiographique Comment je ne suis pas devenu un salaud.
Lorsqu’il a fait paraître Le Val des ânes en 2002, Mathieu Blanchin s’est vu récompenser du Prix Alph-Art pour le meilleur premier album au Festival d’Angoulême. Le livre étant épuisé depuis plusieurs années, la décision fût prise de le réimprimer, mais au lieu d’une simple réédition, Blanchin a choisi de continuer ce récit de vie entamé vingt ans plus tôt avec une suite substantielle, intitulée L’âge bête, qui ajoute quelque 170 pages à l’œuvre originale, et ce sont ces deux histoires que l’on retrouve réunies dans Comment je ne suis pas devenu un salaud.
Sur un ton parfois cru, Matthieu Blanchin se met à nu et livre son intimité psychique, morale et sexuelle sans fausse pudeur et avec une honnêteté désarmante dans Comment je ne suis pas devenu un salaud. Ayant grandi sur une ferme de Velanne dans la région de Nord-Isère, il relate plusieurs épisodes de son enfance, dont les mauvais coups commis avec ses frères, Marc et Henri. Vol de fruits chez les voisins, pétage de carreaux à l’aide d’un lance-pierre, pose de pétards dans des bouses de vaches ou le cul d’une poule morte, le jeune Blanchin n’était clairement pas un ange. En filigrane, ces récits de jeunesse brossent un portrait de la France rurale des années 1970 et de cette époque où le labour à cheval a cédé la place aux tracteurs, et où les paysans fermiers sont devenus des exploitants agricoles.
En plus de brosser le portrait d’une jeunesse trop souvent livrée à elle-même, dépeignant au passage sa cruauté et sa violence, Matthieu Blanchin aborde de manière très personnelle la douleur, qui l’a accompagné durant la majeure partie de son existence, dès le moment où il est né avec deux pieds bots et a dû subir de nombreuses opérations afin de lui permettre de marcher normalement. Il revient également sur l’éveil du désir, les premiers baisers, les premières expériences sexuelles et le premier rejet amoureux, l’angoisse provoquée par l’absence de poils pubiens à l’âge de 14 ans, ou le mal-être généralisé qu’il éprouvait à l’adolescence, alors que l’anxiété qui le rongeait était ressentie physiquement comme une boule de lave lui brûlant estomac.
Au-delà d’un récit de jeunesse, Comment je ne suis pas devenu un salaud constitue également une lettre d’amour au neuvième art, et c’est l’aspect de l’œuvre que j’ai préféré. De ses lectures de Tintin et Rahan en passant par son prof d’anglais qui lui prêta La Marque Jaune et l’initia au travail d’Edgar P. Jacobs, la fréquentation « interdite » pour les jeunes de son âge du magazine Métal Hurlant, ou l’anecdote de sa professeure de dessin lui ayant offert l’album Mirages de Philippe Druillet pour son quinzième anniversaire et que ses parents confisquèrent pour une année complète en prétextant qu’il n’était pas assez vieux pour lire une telle œuvre, Blanchin explique comment est née sa passion pour la BD, à laquelle il consacrera le reste de sa vie.
Influencées par la signature graphique de Guf Bofa, les illustrations en noir et blanc du Val des ânes possèdent un trait nerveux et parfois un peu brouillon, comme si elles avaient été faites dans l’urgence, mais on peut constater l’évolution graphique de l’artiste en vingt ans en lisant L’âge bête. Blanchin donne à ses dessins un incroyable sens du mouvement, et on apprécie sa façon de donner vie à l’imaginaire, que ce soit des enfants jouant dans la forêt qui se transforment en guerriers médiévaux, ou les yeux d’un personnage prenant la forme de seins à la vue d’une femme nue. Il glisse des reproductions de la couverture d’un numéro de Métal Hurlant signée par Moebius ou celle de L’énigme de l’Atlantide de Blake et Mortimer, et insère même dans l’une de ses pages une série de ses dessins de jeunesse effectués en 1984.
Il faut une bonne dose de courage et d’humilité pour raconter son enfance et son adolescence, des périodes souvent troubles, en faisant preuve d’une telle franchise, mais c’est justement ce qui rend la lecture de Comment je ne suis pas devenu un salaud si poignante.
Comment je ne suis pas devenu un salaud, de Matthieu Blanchin. Publié aux éditions Futuropolis, 256 pages.
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