Dans peut-être le plus célèbre de ses ouvrages, Walter Benjamin notait que si l’œuvre d’art avait toujours été fondamentalement reproductible par des mains habiles, elle était à son époque et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité soumise à la reproduction technique. Nous étions alors au XIXe siècle et le philosophe et historien de l’art pensait à la photographie et au cinéma.
Que dirait-il, aujourd’hui, des œuvres entièrement conçues sur des ordinateurs, voire par le biais de l’intelligence artificielle? C’est à cette question que nous fait réfléchir l’artiste Amer Rashid dans une exposition – installation présentée au Dépanneur café dans le Mile End, à Montréal, haut lieu de la musique, mais aussi des arts visuels.
Car les ordinateurs travaillent désormais non seulement à partir des données que des programmeurs ou des artistes leurs proposent, mais en utilisant leur capacité à déduire des opérations de ces données, de manière incroyablement rapide et par essais et erreurs successifs, sans jamais se lasser (comme ce serait évidemment le cas pour un humain), mais par corrections successives et bien plus rapidement que n’importe qui pourrait le faire.
C’est ce que l’on nomme le deep learning, ou apprentissage profond.
Et pour vulgariser le concept et matérialiser ces réseaux d’essai et erreurs, Amer Rashid présente dans son exposition, non seulement des œuvres produites par lui sur son ordinateur, donc éminemment reproductibles, mais aussi une installation artistique – et unique, quant à elle – de fils colorés rouges, bleus et verts, ponctués de petits poids de mêmes couleurs selon qu’il s’agit d’une connexion forte, faible ou erronée. Typique de l’art contemporain, le spectateur aura en plus de l’appréciation de l’œuvre globale en elle-même, de multiples sujets de réflexions artistiques, politiques, éthiques et philosophiques par l’observation et la lecture de phrases ou de textes explicatifs ou poétiques exposés eux aussi et intégrés à l’installation.
Amer Rashid n’en est pas à sa première installation artistique. Non seulement artiste reconnu, mais aussi architecte et enseignant dans le programme de réalité virtuelle et réalité augmentée du Collège Champlain, il a souvent été bénéficiaire de bourses de résidence en Grèce, en Égypte ou en Afrique du Sud, entre autres, où ses réalisations sont diverses et toujours pleines de créativité.
Cette fois c’est sur l’intelligence artificielle et la reproductibilité des œuvres qu’il a choisi de travailler. Les adeptes de l’IA, nous promettent plus de connaissances, moins de solitude, une société plus juste, plus sécuritaire, en bref un monde meilleur. Je doute personnellement que ce soit le cas, mais j’espère au moins que l’IA ne restreindra pas la capacité et le désir humain de création.
The work or art in the age of artificial intelligence… and other works…
Exposition de Amer Rashid, du 15 avril au 15 mai 2023 au Dépanneur café, dans le Mile End, à Montréal