Si vous avez eu un peu d’espoir à l’annonce qu’une comédie semblait intéresser Ari Aster, l’esprit tordu derrière Midsommar, Hereditary et une multitude de court-métrages troublants, ne croyez certainement pas que Beau is Afraid annonce la fin des angoisses, bien au contraire!
Le fait est qu’il faut à la fois s’arranger pour en savoir le moins possible sur le film, mais aussi accepter qu’il s’agit là d’un délire carrément inqualifiable. Certes, il peut être plaisant d’essayer de voir le court-métrage Beau du même cinéaste, conçu il y a plus d’une décennie et avec feu Billy Mayo dans le rôle-titre, histoire de voir à quel point non seulement l’univers a été enrichi, mais aussi que les traumas du créateur se sont à coup sûr démultipliés depuis.
Sauf qu’au-delà de cette base, l’inconnu est quand même conseillé, puisqu’il y aura suffisamment matière pour se faire sa propre idée durant et après sans s’y diriger en plus avec des attentes ou des idées préconçues.
Usant de Joaquin Phoenix dans un rôle de victime extrêmement difficile à défendre et à interpréter et certainement plus complexe que celui du Joker, Aster ne s’empêche quand même pas d’utiliser des figures féminines pour y exprimer différents états d’âme. Du désir aux regrets en passant par la culpabilité, l’envie et la crainte parmi tant d’autres choses. Les personnages féminins servent quant à eux de provocations aux yeux de notre protagoniste, que celles-ci soient positives ou négatives.
Sauf qu’en réalité, c’est le monde au complet qui angoisse Beau, dans ses perversions, dans ses incompréhensions, dans ses délires et on en passe. Reflet miroir d’une société supra-violente, confuse, incapable de communiquer et d’être habitée par la raison ou ne serait-ce que par une certaine raison.
On peut tenter simplement de résumer que Beau veut aller rendre visite à sa mère, le jour de l’anniversaire de son défunt père qu’il n’a jamais connu, mais on peut aussi dire que dès les premières secondes, rien ne se passera comme prévu, autant pour le protagoniste que pour le spectateur.
Trois heures et un florilège d’émotions
Séparé en sections distinctes, l’imposant film de trois heures s’immisce en nous et nous place continuellement dans différents états d’inconfort, et ce, à l’instar de son personnage principal.
Le film a beau être long, il passe assez rapidement, malgré quelques segments qui nous travaillent davantage (l’ensemble étant volontairement décousu bien que plutôt chronologique dans sa propre logique) et qui trouve une part de sa justification au sens que la proposition n’aurait probablement pas eu le même effet si elle ne s’imposait pas autant, que ce soit dans le temps qu’il nous force à y consacrer que les situations auxquelles on ne peut échapper.
Toutefois, on y remarque beaucoup plus les nombreux tics du cinéaste (conflits non résolus avec la mère, rapport particulier avec les têtes, finale grandiloquente et symbolique), notamment dans la construction, et on le sent davantage perdu. Certainement moins en contrôle aussi, les conséquences obligées de se mettre autant en danger probablement. Alors que ses créations précédentes savaient se justifier de la première à la dernière seconde qu’importe les désaccords qu’on pouvait y ressentir en cours de route, on sent qu’ici le long-métrage est créé comme d’une interrogation, décidément sans réponses, et par défaut questionnant continuellement le vrai et le faux.
C’est un trip, un delirium. C’est aussi plusieurs critiques justes d’un monde qui va trop vite, nageant indéfiniment dans sa confusion, mais également le constat que le confort est probablement surévalué. On pense un peu à mother! de Aronosfky, sans la part de prétention qui semblait vouloir nous imposer une manière de voir les choses, de comprendre le rôle de la religion (bien que le projet qui nous intéresse n’en est tout de même pas dénuée). Ici, Aster se met bien plus à nu et semble nous tendre une main en espérant à la fois qu’on le suivra, peu certain qu’on le comprendra, mais croisant les doigts qu’entre les lignes, on l’aidera peut-être.
Pourtant, si ça se perd ici et là, on ne peut enlever le talent réuni alors que Aster, aidé de ses collaborateurs dont Pawel Pogorzelski aux images, conçoit le tout avec un soin d’une minutie exemplaire.
Beau is Afraid nous travaille beaucoup, autant pendant que suivant le visionnement. Un film qui ne passe certainement pas inaperçu et qui risque de susciter beaucoup de questionnements, peu importe le nombre d’écoutes, peu importe le nombre de réflexions ou même de discussions. C’est un gros mystère qui aborde différemment le sens de la vie (même s’il le fait comme de coutume régulièrement via la mort), non pas dans la gratitude, mais dans l’incertitude.
7/10
Beau is Afraid prend l’affiche en salle ce vendredi 21 avril.