Pour la toute première fois, les trois tomes d’Hiver nucléaire, un récit d’anticipation scénarisé et illustré par Caroline Brault, alias Cab, sont disponibles dans une intégrale, ce qui permettra aux Québécois appréciant la bande dessinée d’ici de découvrir un album dans lequel ils se reconnaîtront.
Hiver nucléaire s’ouvre sur une tempête de neige monstre déferlant à Montréal… le jour de la Saint-Jean, un 24 juin! Il faut dire que, dans l’univers de la bande dessinée de Cab, une défaillance du système de refroidissement a provoqué un accident à la centrale nucléaire de Gentilly-3 située à Pointe-aux-Trembles, et l’hiver règne continuellement depuis maintenant 72 mois. Six ans de froid humide et de slush sans interruption. Des quartiers complets de la ville au nord de Jean-Talon, dont Parc-Extension, sont désormais ensevelis sous un manteau blanc, et complètement inaccessibles.
L’héroïne de la bande dessinée, une dénommée Flavie Beaumont, étudiait en sciences de la météo à l’UQAM avant ce tragique accident, et la jeune femme aux tendances asociales semble très bien s’accommoder de la situation, qui fait pourtant rager la plupart de ses concitoyens. Elle travaille comme courrier pour la compagnie Livraison Blizzard, et transporte des bagels, des beignes et d’autres produits plus ou moins essentiels à bord de son fidèle ski-doo. Malheureusement, les clients sont aussi capricieux qu’avant la catastrophe nucléaire, et Flavie doit livrer en moins de 25 minutes, ou c’est gratuit.
J’adore l’horreur et la science-fiction, des genres malheureusement très peu exploités au Québec. S’il s’agit d’une question de budget au cinéma, la bande dessinée n’est pas limitée par les mêmes contraintes monétaires, comme le prouve l’album Hiver nucléaire. Puisque son intrigue prend place entre 2026 et 2030 et non pas dans un futur éloigné, on est davantage en présence d’anticipation et, contrairement à la plupart des mondes postapocalyptiques auxquels la culture populaire nous a habitué dans les dernières années, l’univers du livre n’est pas sombre et violent, mais coloré et rempli d’humour, avec ses gags sur Arcade Fire ou les gens branchés du Mile-End.
On retrouve quelques scènes d’action dans Hiver nucléaire, comme lorsque Flavie est confrontée à des itinérants ressemblants à d’abominables hommes des neiges ou à un groupe de jeunes volant des médicaments, mais la bande dessinée se concentre surtout sur le parcours de son héroïne, une jeune femme qui, à cause des radiations, possède un métabolisme survolté. Quand elle se choque, son rythme cardiaque augmente, son sang se met littéralement à chauffer, et elle fait alors preuve d’une force surhumaine. Il s’agit donc d’une sorte de version québécoise de She-Hulk, même si ce ne sont que ses yeux qui deviennent verts, et pas sa peau.
Malgré leur aspect un peu naïf et caricatural, les dessins de Cab sont tout de même très efficaces, et sous son trait de crayon, on reconnaît immédiatement des endroits emblématiques de Montréal recouverts d’une épaisse couche de neige, comme le Parc du Mont-Royal et sa statue, l’usine Five Roses, ou la promenade Ontario, qui devient ici le cœur des territoires autonomes d’Hochelaga. Lors des phénomènes météo extrêmes, des flocons géants de six pieds tombent du ciel, un détail visuel assez original. L’artiste s’amuse aussi à illustrer les effets de plusieurs années de radiations sur la population, et peuple ses pages d’humains ayant la peau verte et des tentacules en guise de bras, ou munis de trois yeux ou d’un seul.
C’était une excellente idée des éditions Front Froid de publier les trois tomes d’Hiver nucléaire en une seule intégrale, afin de permettre à davantage de lecteurs de découvrir ce petit bijou. Si comme moi, vous trouvez qu’il n’y a pas assez d’œuvres d’anticipation au Québec, ce livre est définitivement pour vous.
Hiver nucléaire – L’intégrale, de Cab. Publié aux éditions Front Froid, 276 pages.