Le prélude automnal sied à la perfection aux contours de l’âme de la poétesse Denise Desautels. L’ocre naissant de son tapis feuillu alimente son flux mélancolique, l’une de ses essences créatives. Fébrile à l’approche de sa double participation au Festival international de littérature – en tandem avec ses tendres complices Marc André Brouillette et Antoni Clapés, poète et traducteur catalan – elle aborde le temps d’une pause les fondements de son art, son adhésion au féminin littéraire et cette idylle parisienne de 40 ans.
Tortue aux écailles d’ombre
Colonne vertébrale des Éditions du Noroît depuis les années 90, Denise Desautels entretient une profonde fidélité avec la maison d’édition. Elle en connaît les membres, de la jeunesse dans sa mire, comme d’hier avec douce nostalgie. L’encre au féminin ne cesse de la nourrir, insatiablement. Exercices de joie de Louise Dupré figure parmi ses coups de cœur du moment. Sur le credo de son écriture, la poétesse auréolée par Gallimard maintient ses forces indemnes : une poésie fouillée, déchiffrable à coup de lectures. Une qualité reconnue par son ami de longue date Antoni Clapés, lors d’un entretien, quelques heures plutôt. « La poésie ne relève pas de l’essai, elle se définit par sa polysémie. Il faut se donner la chance de la creuser. J’écris dans l’urgence afin qu’elle dure, mais je suis une tortue se relisant… », exprime rieuse celle qui jubile à trouver un mot manquant. Évoquer l’écriture en soi, implique aussi un déplacement de ponctuation, de mots, tel un casse-tête dont l’issue ne peut qu’être l’idéal de l’acte d’écrire. Une gymnastique appelant au murmure, au souffle inspirant le rythme lors de la lecture publique chérie.
Contemporaines plumes de femmes
Issue de la génération québécoise pré-cégep – comme elle se plaît à s’inscrire dans l’histoire d’ici – Denise Desautels ne peut taire son admiration face à une vague d’écriture de femmes au Québec. Une reconnaissance enfin méritée. Une sensation la comblant à l’idée de partager la scène pour honorer les voix d’ici avec ses pairs Martine Audet, France Mongeau, Diane Régimbald et Nicole Brossard – son phare – en cette Maison de la lumière. L’oeuvre traduite par la poétesse, La casa de la llum, scelle une alliance entre les voix catalanes et québécoises. À tour de rôle, les sœurs de Lettres revisiteront l’oeuvre de Clapés et se prêteront à une ronde poétique sous la lumière de leur propre muse. Un aller-retour Barcelone Montréal liant la figure amicale de Clapés à la Belle Province depuis des décennies.
Hexagonale joie
Tournée vers la Ville Lumière, la poétesse l’a côtoyée en mars dernier, lors du Printemps des poètes ainsi qu’aux beaux jours de juin. Sa poésie circule de l’autre côté de l’Atlantique. Sur sa reconnaissance avec la légendaire griffe Gallimard, l’autrice de L’Angle noir de la joie exprime une douce humilité entremêlée de fierté. « Là-bas, on devient important sous l’égide de Gallimard. J’en suis encore étonnée et honorée mais je pense aussi que d’autres auraient mérité cet honneur… », soutient-elle, ajoutant que le Québec pourrait être davantage reconnu pour sa poésie en France. Sa gratitude envers Jean-Pierre Siméon, à la barre de la collection Poésie/Gallimard, se traduit par une autre de ses affiliations amicales, de Paris à Montréal.
L’heure est au face-à-face avec les mots d’Ingeborg Bachman. Une voix d’ailleurs qui résonnera en fragments allemands dans l’enceinte du Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Disparue en 1973, son legs entre perte et appétit de vivre s’amalgame aux remuements internes des passeurs poétiques Desautels-Brouillette. « Nous étions morts et nous étions en vie, tantôt un être et tantôt une chose », signait-elle. Pour englober son souvenir, le corps et l’âme s’invitent à une performance de lecture qui enflamme la jonction des passeurs de poésie. Ne craignant d’être bousculée, Denise Desautels s’engage à ce plongeon nécessaire pour mieux l’approfondir…
L’ombre obscure que nous sommes
Samedi 24 septembre – 19 h
Dimanche 25 septembre – 14 h