Pour son tout premier roman graphique, l’artiste Charlotte Gosselin nous offre un regard intime sur les problèmes de santé mentale avec Je prends feu trop souvent, un album raconté depuis le point de vue d’une personne aux prises avec des troubles psychologiques.
Même si l’on sait de nos jours que la maladie mentale peut toucher n’importe qui, il n’est pas toujours évident de comprendre le quotidien des personnes qui en sont affectées, ni les épreuves auxquelles elles sont soumises. Pour mieux saisir cette réalité et s’imprégner de l’état d’esprit des gens aux prises avec des troubles psychologiques, rien de tel que l’album Je prends feu trop souvent. À travers son personnage principal, qui restera sans nom tout au long du récit, ce roman graphique émouvant nous permet d’entrer dans l’intimité (et surtout dans la tête) d’une jeune femme anorexique s’isolant volontairement du reste du monde, qui s’automutile en se flanquant des coups de ciseaux sur les cuisses ou se brûle le bras avec ses cigarettes, et dont le mal-être la pousse à contempler le suicide.
Quelque part entre le recueil de poésie, le journal personnel, le carnet de dessins et l’art thérapeutique, Je prends feu trop souvent n’est pas un roman graphique typique. Dans ce récit, que l’on présume autobiographique tellement il sonne authentique, Charlotte Gosselin se livre avec énormément de générosité. L’album est très atmosphérique, en ce sens qu’il utilise la narration intérieure d’une personne en proie à des troubles mentaux de plus en plus envahissants et les pensées en désordre se bousculant à l’intérieur de sa tête, comme fil conducteur. Puisque le livre présente une réalité à laquelle on préfère trop souvent ne pas s’attarder, il ne s’agit certes pas d’une lecture confortable, mais bien d’une histoire essentielle, avec laquelle on ne peut que compatir.
Entre la médication, l’isolement et les thérapies, Je prends feu trop souvent nous ouvre également les portes d’un monde peu connu, celui des soins psychiatriques en milieu hospitalier, où la plupart des objets usuels, qui constituent un danger pour des personnes s’adonnant à l’automutilation, sont soigneusement retirés de l’environnement. Rédigées dans un lettrage nerveux qui reflète bien ses émotions désordonnées, les pensées du personnage principal sont remplies de poésie, et produisent des phrases joliment tournées, comme « Peut-être que si je me frappe la tête assez fort, je pourrai me fuir un instant », ou « Je fantasme sur une fugue, mais je reste ici, au cas où personne ne me chercherait ». Malgré sa noirceur, le récit se termine tout de même sur une lueur d’espoir.
Le travail graphique de Charlotte Gosselin revêt une grande puissance émotionnelle. Il n’y a pas de cases dans Je prends feu trop souvent, mais plutôt de grandes illustrations s’étalant sur une page complète, ou deux. Composés de lignes de crayons fougueuses et touffues, les dessins en noir et blanc se parent parfois d’une touche de couleur, qui perce timidement la grisaille environnante. Les scènes banales du quotidien, un comptoir de cuisine rempli de vaisselle sale par exemple, côtoient des images plus oniriques, comme un lit en feu dans une chambre remplie d’arbres calcinés, ou des silhouettes vides, qui semblent effacées du décor dans lequel elles se trouvent. Les dessins se font plus violents au fil des crises et plus précis dans les moments de calme, ce qui transmet à merveille la valse des sentiments déferlant dans le cœur de l’héroïne.
Les problèmes de santé mentale ont été exacerbés par la pandémie actuelle, mais plutôt que d’aborder le sujet de façon froide et clinique, Je prends feu trop souvent nous invite à partager, de l’intérieur, les émotions submergeant une personne aux prises avec ces troubles. Difficile de rester insensible à un tel cri du cœur.
Je prends feu trop de souvent, de Charlotte Gosselin. Publié aux éditions Station T, 204 pages.