Après l’ancêtre du Monstre du Loch Ness dans Astérix chez les Pictes, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad lancent la bande d’irréductibles Gaulois sur les traces d’une autre créature mythologique dans Astérix et le Griffon, le 39e album de la série.
Astérix et le Griffon prend place en 50 avant Jésus Christ. Pour les Romains, Barbaricum, le vaste monde inexploré à l’est de Rome, est le territoire des peuples étranges aux noms imprononçables et des bêtes improbables, toutes plus effrayantes les unes que les autres. Ayant entendu parler de l’existence du Griffon, un étrange fauve possédant le corps d’un lion et la tête d’un aigle, l’empereur Jules César manifeste le souhait d’exhiber cette créature mythique au cirque afin d’augmenter sa popularité auprès de la plèbe. Il envoie donc une troupe de légionnaires à sa recherche, mais craignant de perdre l’animal-totem de leur tribu, Cékankondine, le chaman des Sarmates et ami du druide Panoramix, demande l’aide des Gaulois pour empêcher les chasseurs de le capturer.

Jean-Yves Ferri explore de nouveaux territoires avec Astérix et le Griffon, alors qu’un groupe de Gaulois se rend chez les Sarmates, un peuple nomade ancêtre des Slaves et vivant dans une zone située entre la Russie, la Mongolie et le Kazakhstan. Cette société matriarcale, où les Amazones faisaient la guerre tandis que les hommes restaient au village, lui donne l’occasion d’accorder une plus grande importance aux personnages féminins, qui remettent constamment en question l’efficacité d’Astérix et Obélix en tant que combattants. On retrouve tous les ingrédients ayant fait le succès de la série, dont un humour bon enfant, des jeux de mots (l’un des guides déclarera « Je ne suis qu’un Scythe de rencontre »), et des noms rigolos comme Trodéxès de Collagène, Dansonjus ou Garozépine. Idéfix s’acoquinera même avec un loup nommé Wolverine.
Bien que son intrigue se déroule dans l’antiquité, Astérix et le Griffon est imprégné de notre époque actuelle. Jean-Yves Ferri insère quelques anachronismes (« Pas de livraison gratuite d’Amazone! ») et fait plusieurs clins d’œil à la prolifération des fausses nouvelles à travers un Romain au teint verdâtre nommé « Fakenius », qui doute de tout et adopte des théories complotistes, remettant en question le fait que la Terre soit ronde et allant jusqu’à déclarer « J’ai toujours trouvé ça suspect, cette histoire de soleil qui se lève à l’Est une fois par jour ». La pandémie de COVID-19 n’y échappe pas non plus. Lassé des dangers qu’ils doivent affronter dans ces terres inconnues et hostiles, l’un des légionnaires s’exclamera : « Moi ces confins, ça m’angoisse. Vivement qu’on se déconfine! ».

Didier Conrad parvient à reproduire parfaitement le coup de crayon d’Albert Uderzo, au point où on pourrait croire que les illustrations dans Astérix et le Griffon ont été effectuées par le regretté dessinateur. Conrad apporte toutefois une touche de dépaysement, avec des décors enneigés et une froideur telle que la potion magique gèle dans la gourde d’Astérix. Pour créer visuellement l’accent des Sarmates, il inverse les « E » dans les phylactères, ce qui constitue une excellente idée même si ça n’est pas toujours évident à lire. Il perpétue aussi la tradition d’insérer des personnalités connues dans l’intrigue. Le géographe romain Terinconus est clairement calqué sur Michel Houellebecq et dans une case, on aperçoit Charles Aznavour sur le bateau des pirates qui chante « Viens voir les Phéniciens, voir les Égyptiens… ».
Il y aura toujours des puristes pour regretter le travail de René Goscinny et Albert Uderzo, mais en reprenant le flambeau avec autant d’amour et de respect pour le matériel original, Jean-Yves Ferri et Didier Conrad prouvent que les célèbres Gaulois ne sont plus seulement irréductibles, mais immortels.
Astérix et le Griffon, de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad. Publié aux éditions Albert René, 48 pages.