Racontant l’histoire de Mindy, une jeune femme qui réussira à surmonter ses troubles de comportement alimentaire grâce à une tablette de chocolat magique lui permettant de replonger dans son passé, la bande dessinée Eat, and Love Yourself a enfin droit à une traduction française ces jours-ci, et pour souligner l’occasion, Pieuvre a eu la chance de discuter avec sa créatrice, Sweeney Boo.
La bande dessinée a longtemps été un boys club. Est-ce que c’est plus facile de nos jours de faire sa place dans le milieu en tant que femme?
Sweeney Boo : Je ne le vois pas vraiment de cette façon-là. Je dirais que je ne me suis jamais vraiment posé la question, mais j’imagine que oui, c’est beaucoup plus facile ces derniers temps de faire sa place, et de pouvoir raconter ses histoires. Il y a beaucoup plus de femmes dans l’industrie, que ce soit en termes d’éditeurs, d’artistes ou même d’écrivains, donc, oui.
Est-ce qu’il y a des artistes féminines en particulier qui t’ont inspiré à faire de la bande dessinée?
Sweeney Boo : J’ai grandi avec Sky Doll de Barbara Canepa et Alessandro Barbucci, et j’étais extrêmement inspirée par le travail de Barbara Canepa en grandissant. Claire Wendling aussi. Aux États-Unis, c’est beaucoup par exemple Babs Tarr, ou Elsa Charretier, qui travaille entre les USA et la France. Ce sont deux artistes extrêmement talentueuses, et qui m’inspirent énormément.
Tu es née en France, tu es déménagée au Québec en 2015, et tu travailles pas mal du côté des États-Unis depuis quelques années. Est-ce que tu te sens plus proche de l’école franco-belge, ou du comic américain?
Sweeney Boo : Complètement comic américain. J’ai essayé de faire ma place, à l’époque, dans la bande dessinée francophone, et j’ai eu du mal. Je ne me sentais pas à l’aise, je ne me sentais pas à ma place, et à partir du moment où j’ai déménagé au Québec et que j’ai vraiment commencé à faire ma place dans l’industrie aux États-Unis, ça a été complètement différent. Je m’y sens beaucoup plus à l’aise, beaucoup plus libre. C’est vraiment bien.
Et au-delà du style visuel en tant que tel, qu’est-ce qui différencie ces deux écoles-là selon toi?
Sweeney Boo : Beaucoup de choses. Par exemple, aux USA, ils prennent peut-être plus de risques avec des titres, parce que c’est du plus court terme avec les issues, c’est beaucoup plus rapide. Donc, il y a beaucoup plus d’opportunités, que ce soit par exemple de faire des couvertures, des choses comme ça. J’admire beaucoup la bande dessinée franco-belge, et je la vois beaucoup plus comme des pièces d’art, qu’ils prennent le temps de faire, ce qui est aussi très très bien, je ne dis pas le contraire, mais aux États-Unis, c’est juste beaucoup plus fun, et l’opportunité de travailler sur des franchises, comme par exemple pour Marvel ou Tranformers, ou je ne sais pas, My Little Pony, même pour un numéro ou une couverture, c’est vraiment le fun.
Ta première bande dessinée, Eat, and Love Yourself, est parue originalement en anglais en 2016 grâce à un Kickstarter. Est-ce que le sociofinancement permet de réaliser des projets plus originaux ou différents en dehors des grandes maisons d’édition?
Sweeney Boo : Je dirais que oui. À l’époque, j’étais attachée avec un écrivain, et on a vraiment essayés à ce moment-là, on a démarché beaucoup en France, et ça n’a pas fonctionné. C’est un projet que je ne voulais vraiment pas abandonner, et je dirais que le Kickstarter, ou le financement participatif, c’est vraiment une opportunité de faire ce qu’on a envie de faire, sans forcément penser au marché, ou toutes ces choses-là, pour gagner de l’argent en retour. C’est beaucoup « voilà ce qu’on a envie de faire, est-ce que ça vous plaît, est-ce que vous avez envie de nous aider à le financer ». Donc, forcément, c’est beaucoup plus libre de ce côté-là.
Est-ce que Mindy, l’héroïne de Eat, and Love Yourself, est inspirée de ta propre expérience? As-tu déjà souffert de troubles de comportement alimentaire?
Sweeney Boo : Oui. Elle est une partie de moi forcément. Ce n’est pas autobiographique, mais presque (rires). C’est vraiment inspiré de la manière dont j’ai grandi, et la façon dont ma famille, mes proches, ont eu du mal à comprendre mes troubles alimentaires, et ce sentiment de solitude que j’avais pu ressentir à l’époque. Je me souviens beaucoup avoir recherché des livres, des bandes dessinées parce que c’est la bande dessinée qui me parle le plus, et je n’avais rien trouvé qui me parlait, ou qui était assez proche de ce que je vivais. Donc, je m’étais dit, à un moment donné, pourquoi pas partager mon histoire?
Et comment t’es venue cette idée d’une tablette de chocolat magique qui fait revivre leur passé aux gens qui en mangent?
Sweeney Boo : On a tous grandi avec Retour vers le futur et tout ça… L’idée de retourner dans le passé est toujours, je dirais, un peu magique, et la tablette de chocolat, c’était ce côté où Mindy a un trouble alimentaire, et son trouble alimentaire, c’est plus centré sur le côté de la boulimie. Donc, se goinfrer, manger jusqu’à n’en plus pouvoir. La tablette de chocolat pour moi, c’est une tentation. C’est de la nourriture, donc, ça représente sa tentation à elle et sa maladie, mais c’est aussi un outil qu’elle peut utiliser pour pouvoir aller mieux. Donc, c’est comme un double sens.
La représentation du corps des femmes est imposée par toutes sortes de médiums, et la bande dessinée ne fait pas exception. On a souvent vu des femmes en petites tenues, avec des poitrines démesurées, dans les comics… Est-ce que tu penses que la situation a changé de nos jours?
Sweeney Boo : J’ai envie de dire oui, mais malheureusement, ça dépend aussi des artistes, et du choix des artistes. Beaucoup d’auteurs masculins et d’artistes masculins à l’heure actuelle ont tendance à dessiner des personnages féminins avec des corps vraiment exagérés, mais, vu que l’industrie, vraiment, s’étend beaucoup plus et a une variété d’artistes différents, ça ouvre les portes à voir beaucoup plus de représentations.
Ça doit être toute une fierté et un sentiment de réussite d’être embauchée par Marvel. Tu as illustré un album de Captain Marvel. Est-ce qu’il y a d’autres personnages avec lesquels tu aimerais travailler, comme Wonder Woman, Black Widow, Batgirl? Il y en a tellement…
Sweeney Boo : Comme tu dis, il y en a tellement (rires). Disons que déjà, d’avoir travaillé sur Captain Marvel, c’était comme un rêve. Et puis, dans cette histoire-là, j’ai eu l’opportunité de dessiner Spider-Woman, Squirrel Girl et tout ça, donc, c’était vraiment le fun. Que ce soit DC ou Marvel, il y a vraiment beaucoup de personnages qui me plaisent et qui m’attirent… J’ai toujours adoré les X-Men. Wonder Woman, c’est sûr, elle est vraiment super, Batgirl… Il y a vraiment beaucoup de personnages féminins… J’ai envie de dire, il y en a beaucoup plus sur lesquels j’aurais envie de travailler que de ne pas travailler (rires). N’importe quoi qui pourrait arriver comme opportunité, j’en serais vraiment contente.
Est-ce que, pour toi, c’est plus satisfaisant de travailler sur tes propres personnages, comme Mindy dans Eat, and Love Yourself, ou de travailler sur des personnages bien établis auxquels tu peux apporter ta propre brique à l’édifice?
Sweeney Boo : J’aime beaucoup varier entre les deux. C’est vrai que j’ai des inspirations souvent sur mes propres histoires… Comme là, actuellement, je travaille sur mon prochain roman graphique, et c’est vraiment complètement original, mais avoir l’opportunité de travailler sur un personnage qui existe déjà, c’est tellement agréable, parce que j’aime m’imprégner d’un personnage. J’ai toujours été fan de mode, et pouvoir donner un petit côté un peu plus moderne, ou juste ma propre interprétation de certaines caractéristiques d’un personnage, c’est quelque chose qui est vraiment vraiment le fun pour moi.
Tu dis justement que tu es en train de travailler sur un nouveau roman graphique. Quel en sera le sujet?
Sweeney Boo : Alors, ça s’appelle Over My Dead Body. Ça va sortir avec Harper Collins en 2022. Ça sera le premier volume. C’est un roman graphique de 240 pages sur une académie de sorcières, et c’est une histoire où, en fait, c’est la semaine du Samhain, donc, c’est l’Halloween, et il y a une élève qui disparaît, et on ne sait pas pourquoi ou comment. Mon personnage principal était très proche de cette élève, et commence à faire sa propre investigation pour savoir ce qui se passe, et découvre plein de petits secrets qui étaient cachés… Donc, c’est un petit peu horreur, c’est un petit peu thriller, et c’est vraiment le fun pour moi de travailler sur ce genre d’histoire-là.
Eat, and Love Yourself, de Sweeney Boo. Publié aux éditions Ankama, 160 pages.