Surtout connu pour son travail au cinéma, avec à son actif des films cultes comme Les Bronzés, Monsieur Hire ou Ridicule, le réalisateur Patrice Leconte revient à ses premiers amours, avec la bande dessinée Deux passantes dans la nuit.
Emprisonnée quelques mois plus tôt pour un crime qu’elle n’a pas commis, Arlette sort de la prison de la Petite Roquette en plein hiver, vêtue de la robe d’été qu’elle portait au moment de son incarcération. Malgré le froid, elle se sent prête à déguster sa liberté et à retrouver son homme, un certain Félix Donnadieu, mais Paris, qui est maintenant sous occupation allemande, a bien changé durant son absence. Alors qu’elle déambule avec sa valise dans les rues étrangement désertes de la ville où plane une menace sourde, sa route croise celle d’Anna, une magicienne qui vient tout juste de se faire renvoyer du « Paradis », le cabaret où elle se produisait en spectacle. Alors qu’Arlette est insouciante et légère, Anna semble se méfier de tout, comme si elle était traquée, mais en dépit de leurs caractères bien différents, les deux jeunes femmes se lieront d’amitié lors d’une longue nuit parsemée de contrôles d’identité, de fêtes clandestines, et de désillusions.

J’ignorais que Patrice Leconte avait débuté sa carrière dans le milieu de la bande dessinée, œuvrant notamment comme dessinateur pour le magazine Pilote de 1970 à 1975. Il renoue donc avec le neuvième art dans Deux passantes dans la nuit, coécrit avec Jérôme Tonnerre, un scénariste issu, lui aussi, du milieu du cinéma. Reposant sur la rencontre entre les deux personnages féminins, le récit est lent, presque contemplatif, et s’attarde surtout à l’ambiance de Paris sous l’Occupation, alors que la population était rationnée et que le champagne coulait à flots pour les collabos et les hauts gradés allemands. Bien que l’album compte peu d’action, les dialogues sont savoureux. Se présentant, la première femme dira par exemple « Moi, c’est Arlette, et vous? », ce à quoi l’autre répondra « Pas moi ». Ce premier tome se termine par contre en queue de poisson, au beau milieu d’une scène, et il faudra attendre la parution du second tome pour connaître le dénouement de l’histoire.

Deux passantes dans la nuit est illustré par Alexandre Coutelis, un artiste que Patrice Leconte côtoyait régulièrement chez Pilote, mais il s’agit ici de leur toute première collaboration. De sa couverture, qui évoque l’affiche d’un vieux film français des années 1940, en passant par son découpage de l’action, le dessinateur adopte une approche très cinématographique pour ce récit destiné originalement au grand écran. D’un trait classique, Coutelis parvient à transmettre l’ambiance à la fois étrange et onirique de cette Ville lumière sans lumières, en n’esquissant souvent que les silhouettes de ses protagonistes, dans cette intrigue nocturne éclairée à la lampe de poche ou par les phares de voitures. Il esquisse les émotions sur les visages avec vivacité, et ses décors mélancoliques, de la neige sale dans les rues parisiennes aux arbres dénués de leurs feuilles, sont rehaussés par une coloration subtile. L’album inclut également un carnet de croquis.
Bien que ce premier tome nous laisse un peu sur notre faim en se contentant d’introduire ses deux personnages principaux et le contexte historique de son intrigue, on est tout de même curieux de connaître la suite de Deux passantes dans la nuit, une bande dessinée aux qualités cinématographiques.
Deux passantes dans la nuit, tome 1 : Arlette, de Patrice Leconte, Jérôme Tonnerre et Alexandre Coutelis. Publié aux éditions Grand Angle, 72 pages.
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