Le créateur de Blacksad, Juan Diaz Canales, fait équipe avec Teresa Valero et Antonio Lapone pour Gentlemind, une bande dessinée délicieusement rétro dans laquelle une jeune veuve se retrouve à la tête d’une revue pour hommes.
Brooklyn, 1939. Arch Parker est un dessinateur de presse talentueux, mais sans emploi, et sans le sou. Alors qu’il tente de se faire engager par le magazine pour hommes Gentlemind, une esquisse de sa compagne, Navit, s’échappe de son portfolio et tombe au sol. Ébloui par sa beauté, le patron, le richissime H.W. Powell, lui propose de l’embaucher sur le champ s’il lui présente la femme lui ayant servi de modèle. Loin de se douter que cet événement mettra fin à son couple, Parker accepte, et après quelques rencontres, Navit le quitte pour épouser le milliardaire.
Au décès de Powell à l’été 1942, Navit hérite de quelques-unes des entreprises de son défunt mari, dont Gentlemind, une revue que personne n’achète. Bien déterminée à sauver la publication de la faillite et à la hisser au sommet du paysage éditorial, la jeune femme décide de lui insuffler un nouveau souffle. Pour se démarquer de la compétition, elle doit trouver un artiste exceptionnel qui réalisera ses couvertures. Elle approche alors son ancien amant, Arch Parker, devenu entretemps l’illustrateur le plus en vogue des États-Unis, mais étant donné leur relation passée, ce dernier acceptera-t-il de travailler pour elle?
Scénarisé par Teresa Valero et Juan Diaz Canales (le créateur de la bande dessinée à succès Blacksad), Gentlemind relate la relation complexe entre Navit et Arch Parker, de jeunes amants que la misère a séparés, mais le récit constitue surtout une lettre d’amour à l’âge d’or des magazines, et à cette époque où les kiosques à journaux foisonnaient de publications de toutes sortes. L’album prend d’ailleurs le temps d’étaler, dans toute leur splendeur, les couvertures de Life, Vogue, Look, Bazaar, Esquire, Colliers, The New Yorker, Popular Mechanics et de nombreuses autres revues pour lesquelles l’appétit du grand public ne semblait jamais vouloir diminuer.
Bien qu’elle se déroule dans les années 1940 et dans le milieu de l’édition plutôt que celui de la publicité, l’intrigue de Gentlemind évoque une sorte de Mad Men à saveur féministe avec le personnage de Navit, une jeune femme ambitieuse se retrouvant à la tête d’un magazine moribond et qui devra composer avec le machisme ambiant. Il est aussi très ironique que, dans une scène, l’héroïne de la bande dessinée décide d’inviter dix femmes aux bureaux de la rédaction afin de les questionner sur ce qui intéresse vraiment le public masculin, mais après tout, qui connaît mieux les hommes que leurs mères, leurs épouses et leurs sœurs?
Avec ses personnages aux traits anguleux et son style rétro d’influence Art déco, les dessins d’Antonio Lapone dans Gentlemind ne sont pas sans rappeler le travail de Darwyn Cooke. L’artiste insère plusieurs clins d’œil à la culture populaire des années 1940 à travers ses cases, dont un garçon avec un chandail de Charlie Brown, un chien ressemblant à Snoopy, des couvertures de Marvel Comics ou d’Action Comics mettant en vedette Superman, et même une apparition de Groucho Marx. Lapone colore certaines portions de ses illustrations, mais en laisse d’autres en noir et blanc, et pour renforcer le côté vieillot, il recouvre certaines images d’un voile de petits points noirs, évoquant la trame des impressions couleur de l’époque. L’album se termine sur un carnet de croquis, attribués au personnage fictif d’Arch Parker.
Conjuguant rêve américain et féminisme dans le New York des années 1940, la bande dessinée Gentlemind nous replonge aux belles heures des magazines sur papier glacé, dévoilant au passage comment se concocte le contenu d’une revue. Vivement la seconde partie de ce diptyque fort sympathique.
Gentlemind, épisode 1, de Juan Diaz Canales, Teresa Valero et Antonio Lapone. Publié aux éditions Dargaud, 88 pages.