Il s’est écrit beaucoup de choses sur la série politique The West Wing, qui a été diffusé pendant sept saisons à la télévision américaine, de la fin des années 1990 au début des années 2000. Et pourtant, il y a sans doute un seul objet, ou plutôt un seul vêtement, qui décrit parfaitement bien l’état d’esprit qui prévaut tout au long de cette saga se déroulant à la Maison-Blanche: le pantalon à pinces.
Le pantalon à pinces, oui, ce vêtement pour hommes un peu plus évasé que les pantalons de bureau qui sont généralement portés de nos jours, et qui habillaient la plupart des personnages masculins de la série, dont la grande majorité de l’intrigue a lieu dans les bureaux lambrissés et les corridors débordant d’activité de l’aile ouest de la Maison-Blanche, où l’on retrouve non seulement les services de communication du président américain, mais aussi le fameux Bureau ovale, le centre du pouvoir exécutif aux États-Unis.
Créée et largement scénarisée par Aaron Sorkin, qui y exposera son style particulier consistant, entre autres, à donner dans un intellectualisme assumé – au risque, bien souvent, de produire des épisodes entiers pouvant porter sur d’obscures questions de procédure politique et juridique américaine –, mais aussi à présenter le travail des conseillers de la Maison-Blanche comme une tentative de tous les instants de surmonter le chaos de l’existence, généralement en tenant des réunions en urgence en marchant dans les corridors, sans prendre le temps de s’arrêter et de s’installer dans une pièce spécifique pour échanger des idées. Cette façon de faire progresser l’intrigue, ou de présenter de nouvelles informations, a d’ailleurs été largement parodiée par quantité d’autres séries, notamment les Simpsons. En fait, c’est tout le côté « plus intelligent que vous » de la série, avec son président possédant deux doctorats et venant de la Nouvelle-Angleterre, ainsi que sa cargaison d’hommes blancs prenant toutes les décisions importantes au sein du gouvernement américain, qui viennent caractériser le style de Sorkin. Et de la série, bien entendu.
D’ailleurs, est-ce un signe révélateur de l’époque à laquelle l’oeuvre a été tournée et produite? Outre le personnage de Charlie (Dulé Hill), un jeune Noir qui deviendra l’assistant personnel du président, et de Matthew Santos (Jimmy Smits), le candidat latino-américain qui deviendra le nouveau président démocrate à la fin de la dernière saison, on ne trouve généralement que des Blancs dans les 156 épisodes de la série.
Quoi qu’il en soit, si The West Wing présentait déjà un président et des conseillers plus intelligents et capables d’une profondeur intellectuelle plus importante que ceux de l’administration Bush, au début du siècle, il ne fait aucun doute que la série et ses enjeux semblent se trouver à des années-lumière de l’atmosphère d’ignorance crasse et de cruauté volontaire qui prévaut dans la Maison-Blanche de Donald Trump. Cela n’est pas pour rien, d’ailleurs, que de nombreux amateurs de la télésérie se sont attelés à faire renaître l’oeuvre de ses cendres, en quelque sorte, comparant allègrement le président fictif Jed Bartlett, interprété par un Martin Scheen incroyable et tout en nuances, et l’actuel locataire de la Maison-Blanche.
Sept saisons, cela représente bien entendu un bien long moment pour voir des personnages évoluer et des scénarios s’approfondir, d’autant plus que la série a été produite à l’époque où lesdites saisons comptaient encore 22 épisodes, plus que 10, en moyenne, comme cela est le cas depuis quelques années. Mis bout à bout, les 156 épisodes équivalent à près de 110 heures d’écoute; et cela, c’est sans compter les deux épisodes spéciaux. Le premier, diffusé en 2001, est consacré aux attentats du 11 septembre. Le deuxième porte plutôt sur de véritables conseillers de la « West Wing » sous les présidences Clinton et Bush fils.
The West Wing est-elle une bonne série? Il ne faut certainement pas s’y atteler et espérer obtenir autant d’action, de retournements de situation inattendus et de trahisons violentes que dans House of Cards, qui a été largement comparée à ce prédécesseur télévisuel. En fait, la série d’Aaron Sorkin est représentative d’une époque qui n’a jamais vraiment existé. Une époque où les débats étaient vifs, oui, mais où la raison finissait par prévaloir, où les décideurs prenaient généralement le temps de recueillir les informations nécessaires avant d’aller de l’avant avec certains programmes délicats ou controversés, et où on avait l’impression qu’en bout de ligne, l’État s’en portait mieux.
The West Wing fait rêver à une époque un peu en-dehors du temps, où l’on portait justement des pantalons à pinces et des chemises un peu trop grandes, où l’importance d’un enjeu pouvait être déterminée au taux d’ébouriffement des cheveux de Bradley Whitford, et où le président pouvait aisément citer des poètes grecs de l’Antiquité, la Bible et des précis d’économie et de politique au petit déjeuner. Ne serait-ce que pour cette raison, une écoute pourrait être nécessaire. Histoire d’oublier, peut-être, la pauvreté intellectuelle et psychologique de bien des chefs d’État.