Hearts of Iron IV est un jeu détestable. Non pas que ce jeu de stratégie portant sur la Deuxième Guerre mondiale développé par Paradox Interactive soit un mauvais titre, loin de là – même si le jeu comporte sa part de problèmes. Non, ces développeurs sans scrupules ont réussi à reproduire un exploit qui n’appartenait alors qu’aux jeux développés par Sid Meier (Civilization et autres Alpha Centauri): accrocher le joueur à son ordinateur jusqu’aux petites heures du matin.
Lancé en 2016 dans sa version originale, le titre, qui est la quatrième déclinaison du genre (la cinquième, si l’on compte Darkest Hour, une modification d’abord officieuse de Hearts of Iron II qui a tellement plu au studio qu’elle a eu droit à sa sortie officielle, par la suite), propose de donner les commandes de pratiquement n’importe quel pays à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale. Il faudra alors gérer la production économique et militaire, mais aussi les orientations politiques et technologiques du pays en question, s’occuper de recherche scientifique, s’assurer de demeurer en bons termes avec les pays voisins et lointains (ou encore promouvoir une idéologie, voire fomenter un coup d’État)… Sans oublier, bien entendu, la guerre qui finira bien par éclater, tôt ou tard. Bref, Paradox propose un jeu 4X en bonne et due forme, avec toute la complexité qui peut y être associée.
Sans avoir joué aux autres titres de la série lors du lancement d’HOI IV (l’acronyme de ce plus récent jeu), il y avait bien certaines aspérités à gommer, certes, mais il était évident que l’attirance, l’attrait parfois maladif était là. Combien d’heures ont-elles été consacrées à une campagne ou à une autre? Combien de nuits de sommeil ont-elles été amputées, ou ont encore complètement disparu alors que ce journaliste tentait de conquérir le monde, que ce soit en éradiquant les forces soviétiques au-delà de la chaîne de montagnes de l’Oural, ou en traversant les jungles amazoniennes?
Trois ans après la sortie du jeu, Paradox est demeuré fidèle à lui-même, et a publié quantité de correctifs et contenus supplémentaires, en plus d’ajouter diverses autres fonctionnalités additionnelles. On compte aujourd’hui quatre expansions: Together for Victory, qui introduisait entre autres le système de gestion des colonies, protectorats et autres dominions, en s’appuyant notamment sur la structure du Commonwealth britannique; Death or Dishonor, qui ajoutait du piquant et une série de décisions personnalisées pour les pays des Balkans et autres Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie et Hongrie; Waking the Tiger, qui octroyait enfin un arbre décisionnel et des mécaniques spécifiques à la Chine, aux communistes chinois, ainsi qu’aux pays limitrophes, et Man the Guns, qui revisite largement les mécaniques entourant la recherche et les combats navals.

Du contenu… et un casse-tête
Bien sûr, la majorité des transformations des mécaniques de jeu sont accessibles aux joueurs qui n’ont pas déboursé la quasi-centaine de dollars (à prix normal, donc non soldé) nécessaires pour se procurer ces quatre expansions. On a ainsi droit au changement total de la gestion du pétrole, qui est passée d’une ressource statique entrant directement dans la production d’unités qui utilisent de l’essence (tanks, navires, etc.) au statut de ressource éphémère qu’il faut accumuler, et dont les stocks disparaîtront vite si l’on n’est pas en mesure d’en produire ou contrôler suffisamment, ou si l’on lance trop d’armées mécanisées sur le champ de bataille.
Malgré toutes ces transformations, malgré les correctifs, les ajouts, les changements – dont il serait trop long d’écrire ici la liste –, HOI IV est demeuré fidèle à lui-même. Et c’est là que le bât blesse. À l’image de trop nombreux autres jeux développés ou publiés par Paradox (la série Europa Universalis vient en tête, tout comme celle de Crusader Kings), il est pratiquement nécessaire de connaître à l’avance les mécaniques et les stratégies nécessaires pour pouvoir jouer à l’un de ces jeux dits de « grande stratégie ». L’exercice tiendrait certes de la divination, mais les développeurs ont rapidement abdiqué devant l’idée de devoir mettre au point un tutoriel complet, et de recommencer en cas d’ajout ou de modification de fonctionnalité. Même à l’époque, lors du lancement du jeu, on suggérait déjà de se rendre sur YouTube et de trouver des vidéos explicatives! Est-ce de la paresse ou du je-m’en-foutisme? Quoi qu’il en soit, c’est un peu gênant pour Paradox.
Ce petit côté élitiste, si l’on peut dire, s’est clairement manifesté lorsque ce journaliste a tenté d’initier un joueur néophyte à HOI IV, dans le cadre d’une partie multijoueur. Le joueur en question a d’ailleurs rapidement remarqué que l’interface partait dans tous les sens, et que certaines informations étaient difficiles à obtenir. Il a bien raison: en tenant pour acquis que les joueurs ont fini par s’habituer, on a droit à un fouillis d’icônes, de menus, d’onglets et autres tableaux qui remplissent rapidement l’écran de notifications et d’alertes qui peuvent aisément s’avérer trop nombreuses pour un nouveau venu.
De fait, après avoir consacré près de deux heures à expliquer, dans les grandes lignes, l’interface et le fonctionnement du jeu, ce journaliste a fini par conseiller à son ami de se tourner vers une série de… sept vidéos d’une trentaine de minutes chacune! Et encore, il s’agit là d’un tutoriel destiné aux débutants qui ne comprend pas le contenu des expansions. Il ne fait aucun doute que la question se pose: HOI IV est-il trop ambitieux? En fait, toute cette complexité commence à évoquer A World at War, un jeu de société portant justement sur la Deuxième Guerre mondiale, et dont les livrets de règlements, codes et autres annexes font plusieurs centaines de pages. Une partie est censée durer 24 heures… et cela concerne fort probablement des joueurs expérimentés qui n’ont pas besoin de se référer au manuel.
S’il est heureusement possible de compléter une partie de HOI IV en quelques heures seulement, si l’on sait comment faire, quelles décisions prendre, et si l’on connaît les stratégies pour vaincre ses ennemis rapidement, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit certainement pas d’un jeu auquel l’on joue pendant quelques minutes seulement. D’où cette transposition d’un principe cher à la série Civilization, le « one more turn ».

Complexe et incomplet
Étrangement, même avec tous ces contenus supplémentaires, même avec toutes ces mécaniques qu’il faut apprendre à maîtriser et à exploiter à son avantage, HOI IV est incomplet. D’abord, les développeurs n’ont toujours pas réussi à concevoir une intelligence artificielle digne de ce nom, qui ne se laissera pas bêtement encercler, par exemple, ou qui s’assurera que le ravitaillement parvienne à bon port en construisant des réseaux de chemins de fer. Ou qui cessera d’envoyer ses troupes au casse-pipe en jetant ses forces clairement inférieures dans des batailles où l’ennemi ne fera que multiplier les tués. Il est d’ailleurs recommandé, par exemple, de laisser l’ennemi perdre ainsi plusieurs centaines de milliers, voire au-delà d’un million d’hommes en ne faisant que « tenir » le front, avant de foncer et de faucher ce qui reste des armées ennemies exsangues.
Nulle trace, par ailleurs, d’une mécanique d’espionnage, par exemple, qui permettrait de mieux savoir ce que l’ennemi prépare, où sont ses flottes et ses forces terrestres, ou encore les percées technologiques qu’il tente d’accomplir. Impossible, également, d’établir de véritables relations diplomatiques allant au-delà de la simple influence politique dictée par les gestes du joueur ou par des événements scriptés. On aurait aimé des alliances de circonstance, par exemple un pacte militaire ou de non-agression en échange de ressources naturelles, ou la possibilité (pourquoi pas!) de pouvoir ravitailler les troupes alliées en matériel, s’il nous est impossible de recruter les hommes nécessaires pour créer nos propres armées. Cependant, si tout cela est implanté un jour, il s’agira d’autant de mécaniques supplémentaires à comprendre et maîtriser.
HOI IV est-il un bon jeu? C’est un titre que l’on aime parfois d’amour, mais auquel on voue aussi une haine profonde… à l’occasion. C’est un titre imparfait, mais c’est aussi, sans doute, le plus « visuellement parfait » des titres de la série et des autres jeux du genre. N’oublions pas, après tout, qu’il faut un côté divertissant à la guerre. Sans cela, ce ne serait que tableaux, colonnes, chiffres et comptes-rendus de combats, alors que l’on serait coincé dans une salle de travail, possiblement à prendre des notes en fixant une carte accrochée au mur. Pour les amateurs, il faudra compter plusieurs heures avant d’espérer se tirer d’affaire lors d’un conflit mondial. Pour les curieux, se lancer dans HOI IV équivaut un peu à un saut dans le vide, sans savoir ce que l’on trouvera au fond du trou. À vos risques et périls, donc.
À cela, ajoutons des dizaines de modifications disponibles gratuitement sur Steam, et qui permettent de revivre diverses époques, y compris la Première Guerre mondiale, la Guerre froide, le début des années 2000, l’époque moderne, voire… le monde post-apocalyptique de la série Fallout. À vos risques et périls, certes, mais il y a certainement quelque chose, quelque part, qui accrochera le joueur à un point tel qu’il se surprendra d’avoir passé la nuit à tenter de conquérir la planète entière.
Hearts of Iron IV
Développeur et éditeur: Paradox Interactive
Plateforme: Windows / Steam (testé sur Steam)
Interface du jeu disponible en français
Un commentaire
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