Après une décennie d’absence, Claire Bretécher est de retour avec Petits travers, un album qui permet de constater que le sens de l’observation, et le sens de l’humour, de cette artiste légendaire sont toujours aussi affutés.
Claire Bretécher est une véritable pionnière du neuvième art, qui a longtemps été la seule femme au sein des salles de rédaction de magazines français comme Spirou, Pilote, L’Écho des savanes (dont elle est l’une des fondatrices), ou Fluide Glacial. J’ai personnellement découvert le travail de cette artiste exceptionnelle grâce à son personnage de Cellulite, une princesse « émancipée » au nez en trompette qui jetait son dévolu sur tous les hommes moindrement potables ayant le malheur de traverser son royaume, mais Bretécher a signé plusieurs séries à succès depuis ses débuts dans les années 1960, parmi lesquels Les Gnangnan, Les Frustrés ou encore Agrippine. Sa dernière bande dessinée remonte déjà à 2009, mais elle revient en force avec Petits travers, un album inattendu qui ravira ses nombreux fans.
Petits travers ne propose pas de récit s’étalant d’une couverture à l’autre, mais plutôt une décennie d’observations humoristiques, tirées directement des cartons de Claire Bretécher, et réunies par thèmes. Certains dessins sont déjà parus dans la presse, mais l’album contient une large part d’inédits. On apprécie avant tout la plume de Bretécher, qui pose un regard souvent caustique sur les absurdités de notre société, et multiplie les formules-chocs pour aborder le conflit des générations (« T’es pas vieille, juste un peu sénior sur les bords »), la bouffe (« Quand je stresse, je mange, quand j’ai mangé, je stresse »), ou l’amour (« Tendre, bien élevée, tout en muscles, pas de graisse superflue, toujours fraîche, appétissante… Cette viande, c’est tout le contraire de mon mari »). Le résultat est résolument adulte, et provoque la réflexion autant que le rire.
Claire Bretécher excelle dans l’art de la synthèse, et elle parvient à résumer une tendance, ou une situation complexe, en une seule image, dans la plus pure tradition de la caricature. Dans un style graphique qui peut sembler simple de prime abord, mais qui laisse transparaître ses années de métier, elle effleure à peine les décors pour se concentrer sur les personnages, dont elle reproduit comme nulle autre les attitudes corporelles. Tout en provenant de ses carnets personnels, les dessins de Petits travers ne sont pas brouillons, loin de là, et la plupart sont même en couleurs. Plusieurs des illustrations du livre sont puissantes, au point où on les imagine facilement orner un t-shirt. L’album contient son lot d’expressions franchouillardes moins évidentes pour un public québécois, mais rien qui ne gâche la lecture.
On ne peut que se réjouir de retrouver Claire Bretécher dans une aussi grande forme, et si vous ne connaissez pas cette grande dame, qui a su faire évoluer la bande dessinée au-delà des « petits Mickey » pour lui donner une certaine maturité, Petits travers constitue une porte d’entrée parfaite pour découvrir cette pionnière du neuvième art.
Petits travers, de Claire Bretécher. Publié aux Éditions Dargaud, 112 pages.
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