Comme les personnages de Widows l’apprendront bien à leurs dépens, rien n’est impossible; tout dépend de l’exécution. Et si pour certains cette rencontre épatante de talents entraînera une certaine déception (il s’agit d’un film d’auteur grand public fait pour récolter des éloges et des prix, lui-même adapté d’une télésérie britannique des années 80), elle n’en demeure pas moins un long-métrage minutieux qui s’empresse de faire vivre une expérience à son public.
Difficile, en fait, de ne pas se sentir engagé par ce feu d’artifices qui se déroule sous nos yeux.
Des coins ronds, il y en a. Des morales aussi. Des improbabilités et des moments un peu trop arrangés avec le gars des vue? Impossible de les nier également. Pourtant, la plume aiguisée et féroce de Gillian Flynn, qu’elle partage avec Steve McQueen, s’amalgame vicieusement bien avec la vision singulière qu’ils ont de ce film de braquage qui devient rapidement tout ce que le très ennuyeux et problématique Ocean’s Eight aurait dû être.
L’histoire est simple et loin de ne pas être ingénieuse. À la suite d’un braquage qui vire mal, la veuve d’un des bandits se retrouve à hériter d’une forte dette particulière à des truands que son mari avait eu la plus ou moins bonne idée de voler. Au bout du rouleau et à court d’options, elle décide de rallier les autres veuves de ce coup manqué pour s’approprier leur prochain plan, coûte que coûte.
On le sait, Steve McQueen est un homme de peu de mots et lorsqu’il s’y met, ceux-ci sont souvent choisis avec soin. Il est beaucoup plus intéressé à la psychologie, au ressentir et à faire vivre l’intensité de ce qui se produit à l’écran, de manière telle que le spectateur se sent engagé au point de vivre les événements simultanément avec les personnages. Si l’on aura envie de dire que cette œuvre, de loin la plus accessible de McQueen à ce jour, n’aura pas l’étoffe de ce qu’il a conçu par le passé (il n’y a eu qu’un seul Hunger jusqu’à présent, après tout), sa griffe sera pourtant partout.
De par les choix aussi judicieux que surprenants d’angles de caméra (il y a l’une des scènes les plus énigmatiques de l’année qui consiste pourtant en une discussion très banale dans une voiture), tout comme par ces nombreux longs plans (il y en a un tout simplement stupéfiant qui implique un rap), ou même dans cet astucieux travail de montage qui dose l’ensemble dans un rythme aussi hypnotisant que fascinant, le film contourne constamment ce que l’on pourrait attendre d’un blockbuster conventionnel.
Bien sûr, il y a ici une distribution époustouflante où tous les acteurs brillent les uns après les autres, de Viola Davis à Colin Farrell, en passant par Cynthia Erivo, Jacki Weaver, Brian Tyree Henry, Michelle Rodriguez, Liam Neeson, Robert Duvall et on passe (même Matt Walsh est de la partie!). Alors que comme de coutume, l’ingénue Elizabeth Debicki éclipse encore tout sur son passage, que Daniel Kaluuya donne véritablement froid dans le dos et qu’on aurait certainement pris plus de l’immense Carrie Coon, faisant un pied de nez surprenant à son rôle dans Gone Girl, où elle a été découverte après tout.
Puisque voilà, il devient facile de vouloir comparer l’œuvre avec le coup de génie précédent de l’auteur, elle qui a su magnifier son propre bijou dans son premier scénario adapté de son propre roman. On ressent encore le désir d’y insérer plusieurs revirements choquants et un humour noir toujours aussi inattendu. Les surprises y sont néanmoins moins grandes, comme tout y est particulièrement convenu et prévisible et on s’attache et s’intéresse davantage à la vivacité des dialogues plutôt qu’aux avancées de l’histoire, ceux-ci allant constamment droit au but et passant bien peu par quatre chemins, surtout avec le naturel et l’aisance avec lesquels les acteurs les livrent.
Tout comme c’était le cas avec Shame, bien que le film ne souffre pas nécessairement de longueurs, il y a bien plus de faiblesses dans le troisième acte, qui pousse davantage son côté émotionnel. Si la poésie est délaissée au profit de prises de position beaucoup plus sociales et politiques, il n’en demeure pas moins qu’il s’ agit-là d’une œuvre forte et actuelle qui nous pique de l’intérieur et nous brasse autant qu’elle nous divertit.
Il ne faut donc pas trop en demander de Widows, mais il ne faut pas le sous-estimer non plus. C’est une œuvre forte, mais accessible, exécutée avec maîtrise et doigté partout, autant devant que derrière la caméra, avec juste ce qu’il faut de raccourcis pour le simplifier, mais juste assez d’ingéniosité pour l’élever au-dessus des masses. Un excellent cru qui fait passé un sacré beau moment, à défaut de le transcender.
8/10
Widows prend l’affiche en salles ce vendredi 16 novembre
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