Des gens qui disparaissent comme ça, sans bruit, sans laisser de traces. Des familles qui doivent vivre leur deuil sans pouvoir se recueillir sur la tombe de leurs proches. Et là-haut, au nord, un pays mystérieux qui enlève des ressortissants étrangers pour en tirer avantage.
Dans son plus récent roman publié chez Seuil, Éclipses japonaises, Éric Faye aborde ainsi la question de ces kidnappings et de leur incidence sur les familles des disparus, certes, mais surtout sur ces gens arrachés de force à leur vie de tous les jours pour plutôt trouver une existence suspendue dans le temps.
Loin de l’horreur des camps de travail et des goulags nord-coréens, ces kidnappés, majoritairement japonais, mais aussi originaires d’ailleurs dans le monde, y compris un Américain ayant déserté les installations militaires de Corée du Sud pour échapper à une possible affectation au Vietnam, ont plutôt trouvé une vie relativement tranquille. Du moins, tranquille selon les normes de la société nord-coréenne. Ces « invités malgré eux » ne peuvent pas rentrer dans leur pays d’origine, mais ils ne sont pas brutalisés non plus. À croire que la Corée du Nord pourrait être raisonnable. Enfin, dans certaines conditions.
Voilà donc ce que nous offrent ces Éclipses japonaises: une fable semblant être perchée en-dehors du temps, une sorte de purgatoire où attendent nous kidnappés, installés dans un pays totalitaire qui les traite correctement, sans plus, et emploie habituellement leurs compétences pour former des agents secrets nord-coréens chargés de missions délicates.
Ni oeuvre transcendante, ni récit révélateur, le roman d’Éric Faye se lit tranquillement, délicatement, peut-être par crainte de trop brusquer les choses et de se retrouver dans l’enfer de l’absolutisme de la dictature des Kim. Cette dictature qui fait exécuter l’oncle du nouveau « cher leader » en le donnant en pâture aux chiens, ou qui bombe un torse émacié par la famine en brandissant des armes nucléaires.
En fait, on ne sait pas trop sur quel pied danser, à bien y penser. D’un côté, il est agréable, en un sens, qu’on puisse raconter la vie des gens « ordinaires » dont les péripéties ne correspondent pas à un roman d’espionnage. De l’autre, si l’on plonge dans ce recueil en espérant y retrouver une excitation poussant le lecteur à lire fébrilement page après page, on sera vite déçu. À juger, donc, en fonction de l’inspiration du moment.