Les apparences sont trompeuses: derrière les cabrioles du Royaume des animaux, présentée sur les planches du Théâtre de Quat’Sous, se trouve non seulement un regard perçant sur le monde du spectacle, mais aussi un coup de fouet intellectuel pour des spectateurs (et des critiques!) trop souvent blasés.
Soyons honnêtes dès le départ… il est bien trop souvent facile de se laisser aller à une certaine paresse intellectuelle lorsque vient le temps de critiquer des oeuvres culturelles. Celles-ci se suivent et en viennent parfois à se ressembler, à un tel point qu’il est tentant d’emprunter des raccourcis pour réduire le temps passé penché sur un clavier et rivé derrière un écran.
C’est donc dans cette disposition d’esprit que l’on prend place dans la petite salle du Quat’Sous, et les premières minutes de cette pièce de Roland Schimmelpfennig mise en scène par Angela Konrad n’aident pas à dissiper cette impression. Deux hommes ventripotents s’installent dans un décor dépouillé qui est, finit-on par comprendre, la loge d’une salle de théâtre, et enfilent péniblement des costumes faits de bric et de broc, avec force vues sur des fesses poilues et adipeuses. Le rythme est lent, très lent. Mais, éventuellement, on entre de plein pied dans le «feu de l’action».
Cette action, c’est celle d’une poignée de comédiens blasés, fatigués, éreintés, qui jouent la même pièce depuis des années à raison de six à sept représentations par semaine. Une machine qui fonctionne relativement bien, mais dont la fatigue est évidente. Et sur scène, les comédiens se trompent, claudiquent, s’essoufflent facilement. La pièce doit faire ses frais, mais à peine.
En quelques courtes saynètes (trop courtes, peut-être), la difficile réalité des comédiens commencent à se faire jour. Ceux-ci se battent pour des miettes, un espoir de rôle dans la prochaine production du théâtre où ils travaillent, la possibilité de jouer la toast plutôt que la bouteille de ketchup… Les perspectives sont sombres.
Vers le milieu de la pièce, vers la mi-parcours de cette 1h40 sans entracte, le spectateur aura forcément compris là où la pièce veut en venir: Le Royaume des animaux est une critique cinglante de la sphère artistique, et du monde du travail dans son ensemble. Des gens forcés d’enchaîner des tâches monotones et abrutissantes du matin au soir, sans véritable espoir d’amélioration, ça vous rappelle quelque chose? Si l’on avait ajouté à cela un volet sur le travail bénévole en échange d’exposure, on aurait obtenu une charge contre la précarité des journalistes pigistes. Mais la pièce s’en tient au théâtre, atteignant quand même ce second degré qui donne à l’oeuvre toute sa saveur, toute sa solidité.
En deuxième partie, alors que le comédien Éric Bernier adopte un contre-emploi savoureux d’auteur célèbre ayant tendance à céder sur ses principes en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes, salopard et suffisant à ses heures, l’attaque contre le vedettariat théâtrale et artistique en général est moins subtile, surtout avec cette référence aux célébrités «de catégorie A», une pique rappelant la pseudo-controverse liée à l’utilisation de cette expression pour expliquer l’uniformité des invités des talk-shows dans les médias québécois.
Pas de salut dans Le Royaume des animaux. Uniquement une vérité pure et simple: il faut connaître les bonnes personnes pour avancer dans la vie, et ce n’est pas grâce au seul talent qu’un individu atteindra le sommet. Un constat déprimant, oui, mais ô combien nécessaire.
Et le spectateur repart sur la rue des Pins éclairée par les réverbères, peut-être sous un crachin léger, avec un goût amer dans la bouche. Après tout, le théâtre n’est heureusement pas toujours là pour caresser dans le sens du poil.
Le Royaume des animaux, de Roland Schimmelpfennig, traduit par Angela Konrad et Dominique Quesnel. Mise en scène d’Angela Konrad, avec Éric Bernier, Philippe Cousineau, Alain Fournier, Marie-Laurence Moreau, Gaétan Nadeau et Lise Roy.
2 commentaires
Ha bon? Une gifle? Vraiment? Une critique cinglante? Allons allons! La première impression reste la bonne : c’est lent, c’est long et on trouve elle temps long. Certes, les comédien(ne)s sont épatants, parfaits, impressionnants. La mise en scène est subtile tout comme les lumières. Les costumes sont originaux. Mais le texte… le texte est mauvais. Alors c’est peut-être un problème de traduction mais quand même . La dernière demi heure avec l’arrivée du personnage de l’auteur est d’une suffisance, d’un nombrilisme ( qui frise le ridicule avec les répliques du genre : » on ne m’a pas compris! »).
Bref, le propos est tellement classique, tellement fade que l’endormissement s’installe et que l’on attend la fin du show avec délice.
En fait, j’avais probablement la même réflexion que vous en début de pièce. Et il ne fait aucun doute que l’oeuvre n’est pas parfaite, loin de là. Mais plus le temps avançait, plus le texte est venu éveiller quelque chose, un quelque chose qui m’a éventuellement amené à modifier mon point de vue.