Il se fait bien peu de films de guerre, de nos jours. Du moins, bien peu de films portant sur la Deuxième Guerre mondiale. Il y a eu Dunkerque, certes, et il y aura Midway, mais l’époque des films grandiloquents, où nos héros gardent leur sang-froid face au danger, semble bien révolue. Voilà pourquoi A Bridge Too Far, sorti en 1977, permet de retourner à cette période du septième art, afin de raconter l’une opérations alliées les moins bien réussies de la guerre.
Réalisé par Richard Attenborough, le défunt frère aîné du célèbre vulgarisateur David Attenborough, A Bridge Too Far raconte l’histoire de l’opération Market Garden, la tentative d’invasion aéroportée des Pays-Bas par les forces alliées à l’automne 1944. En prenant divers villes de cette région hautement stratégique, ainsi qu’en capturant les divers ponts que l’on y trouve, le haut commandement estimait pouvoir s’installer à la frontière allemande et passer rapidement dans la vallée de la Ruhr, siège de la puissance industrielle nazie. « La guerre pourrait être finie pour Noël! », lancera l’un des officiers lors du briefing à propos de l’opération.
Mise sur pied à toute vapeur, l’offensive s’appuyait sur la nécessité, pour les renforts blindés partis de la frontière belge, de franchir près d’une centaine de kilomètres en deux jours, afin de relever les parachutistes à Arhnem et solidifier la tête de pont. En fait, les renforts n’y parviendront jamais, et les survivants des commandos britanniques largués sur la ville évacueront l’endroit après neuf jours de combats particulièrement violents et meurtriers. La Deuxième Guerre mondiale prendra finalement fin en mai 1945 en Europe, avec les Soviétiques conquérant Berlin et environ la moitié de l’Allemagne.
Évidemment inspiré de faits vécus, et s’appuyant sur l’expertise de quantité de gens ayant pris part au conflit mondial, et sans doute à l’opération Market Garden elle-même (qui avait eu lieu seulement 33 ans auparavant), A Bridge Too Far a ce petit côté quelque peu ronflant des films de guerre de l’époque. Pendant près de trois heures, on a ainsi droit à quantité de pièces de musique orchestrale, à de longs plans des blindés, des soldats, des avions ou des parachutistes, ainsi qu’à de longues discussions entre officiers et soldats, histoire de bien souligner l’aspect historique de la chose.
Cela ne veut cependant pas dire que le film donne dans le lyrisme, ou qu’il tente de gommer certaines « imperfections » historiques pour présenter une version plus héroïque des faits. Après tout, c’est un film de guerre, et guerre il y a: explosions, morts, fusillades et autres bombardements sont légion, et il ne fait nul doute que le budget en effets spéciaux a dû être particulièrement élevé pour l’époque. D’autant plus, bien entendu, qu’il était impossible de recourir à des techniques numériques. Ce sont donc de véritables véhicules blindés de la guerre de 1939-1945 qui circulent dans les rues, et de véritables explosions qui surviennent pendant les combats. On voit, ici et là, les endroits où l’équipe de production a atteint les limites de ses capacités pour recréer une colonne blindée, par exemple, ou pour représenter une flottille d’avions de transport ou de planeurs, bien entendu, mais personne ne s’attend honnêtement, après tout, à ce qu’un film sur la guerre déploie autant de moyens qu’une véritable armée.
Outre cette action à très grand déploiement, A Bridge Too Far s’appuie sur une distribution plus que solide mettant en vedette une brochette d’acteurs déjà connus, à l’époque, et qui ont aujourd’hui atteint le statut de légendes du septième art. Qu’il s’agisse de Sean Connery, d’Anthony Hopkins, de Gene Hackman, de Michael Caine ou encore de Robert Redford, tous offrent des performances complexes, subtiles et tout en nuances.
Certes, on peut considérer que tous ces personnages sont bien calmes alors que les balles ricochent tout autour d’eux, ou qu’il est un peu ridicule que les protagonistes britanniques se parlent par radio comme s’ils prenaient le thé, alors que les chars allemands sont tout autour d’eux, mais force est d’admettre que cela donne un petit côté digne à la chose. Idem pour les séquences de combat, tournées de façon réaliste, sans musique, et surtout sans multiplier les prises de vue dramatiques. L’avantage, paradoxalement, des techniques de tournage limitées. Ce cadre technologique n’a toutefois pas empêché l’équipe d’utiliser, à deux reprises, une méthode de tournage pour donner l’impression que le spectateur saute dans la mêlée avec les autres parachutistes.
Film d’une autre époque, A Bridge Too Far est le témoin d’un courant cinématographique révolu, peut-être, mais aussi d’un sens de la maîtrise des codes du septième art qui échappe hélas à trop de réalisateurs contemporains. À voir, donc, pour revisiter ces années disparues.