En revoyant Luzia, 38e création du Cirque du Soleil, près de 10 ans après sa première représentation, force est d’admettre que l’attention portée aux détails est toujours aussi importante. Dommage que tout le reste sème l’ennui, dans une version beaucoup plus brouillonne que celle qui avait ébloui le public, lors de son premier tour de piste.
Festin visuel sans précédent qui se veut un hommage vibrant à la culture mexicaine, le titre renvoie d’emblée à un mariage judicieux entre la lumière et la pluie, respectivement Luz et Lluvia en espagnol.
Ces deux pôles guident assez aisément le spectacle, qui se nourrit justement des éclairages et de l’eau intégrés à une grande majorité des numéros. C’était la surprise et la nouveauté pour une création de tournée sous chapiteau, à l’époque, et la chose est toujours impressionnante aujourd’hui, avec à une ingéniosité scénique et technique qui risque d’épater même les plus sceptiques.
Impossible de ne pas s’ébahir quand l’écran d’eau se met à tracer toutes sortes de formes sous nos yeux. On regrette quand même qu’on ne prenne plus la peine d’y écrire des mots.
Le reste n’est que poésie et fantaisie, dans l’un des amalgames de scènes disparates les plus confus que la célèbre troupe nous a offerts.
C’était le cas quand ils ont lancé le spectacle et cela ne s’est pas amélioré depuis.
On pouvait pardonner, jadis, puisque la création était partagée deux têtes: Daniele Finzi Pasca et Brigitte Poupart qui était venue en renfort, mais que rien n’ait changé et que la fluidité a même souffert, au passage, est beaucoup plus dur à digérer.
Comme de coutume, n’essayez donc pas trop de vous casser la tête à décoder la trame narrative de cet insupportable voyageur en atterrissage forcé qui passe de la terre à la mer, traversant différents tableaux qui évoquent ici le tournage d’un film, là les fonds de l’océan et plus tard un grand festin, sans vraiment y déceler un sens précis. Par exemple, pourquoi y avoir aussi ajouté cette clé géante qui tourne comme d’une boîte à jouet en donnant vie à l’univers en plus de l’aviateur qui doit supposément nous guidant durant le périple?
C’est dommage puisque tous ces tableaux fouillés et recherchés renvoient directement à des éléments culturels précis du Mexique, ce qu’il est absolument impossible ou presque de déceler, pour la majorité du public.
On pensera ici et là à la lucha libre ou à la Dia de los Muertos, sans plus, alors qu’il y aurait certainement eu moyen de rendre les références plus claires et perceptibles pour s’arrimer au plaisir de l’émerveillement.
Ce n’est pas mieux quand on réalise que l’étalage de trouvailles, dans les sublimes accessoires de Eugenio Caballero et les magnifiques costumes de Giovanna Buzzi auraient peut-être mieux servis une pièce de théâtre.
De fait, le cirque fait piètre figure ici, les numéros s’avérant rarement palpitants. Non seulement ceux-ci ramènent des disciplines vues et revues sans arriver à les dynamiser, les réinventer ou les repousser, mais ils lèvent rarement, la majorité des artistes exécutant leur routine avec un ennui palpable.
On pense à la scène d’ouverture où des acrobates déguisés en oiseaux déambulent machinalement sur un énorme tapis roulant.
Le fait est que le mouvement constant dans les accessoires, la scénographie et les disciplines choisies tourne littéralement en rond. Les artistes sur eux-mêmes, la scène constamment tournoyante, mais les numéros qui s’étirent aussi la plupart du temps, incluant le numéro inédit de football danse qui ne parvient toujours pas à transcender la surprise amusée qu’il provoque.
Même l’énergique jongleur, un numéro de sangles sans filet ou un terrifiant contorsionniste n’arrivent pas à redonner de la vie à l’ensemble.
Cet ennui s’explique d’une part en raison du fait que les numéros manquent d’envergure, mais aussi parce qu’on mise tellement sur un sentiment de groupe que les artisans en vedette se retrouvent eux-mêmes noyés dans leurs propres foules, lorsqu’ils devraient plutôt briller quand leur numéro arrive enfin.
Si le numéro de roue cyr et trapèze est toujours aussi fabuleux à regarder, difficile de rester concentrés lorsque viennent les numéros de balançoire 360 et de balançoires russes. En plus de se ressembler et d’être redondants, au cours des 125 minutes que dure le spectacle, ils ne vont jamais au-delà de leurs possibilités, tout en multipliant inutilement les participants sur scène, les obligations de sécurité exclues.
On avait ainsi aimé ce sentiment de célébration qui émanait de l’ensemble, mais à presque 50 artistes sur scène en même temps, musiciens inclus, on finit par perdre la tête et avoir le tournis.
C’est d’autant pire que les changements de tableaux deviennent rapidement handicapant pour tout le monde alors qu’on fait des pieds et des mains pour forcer les artisans à se joindre au ramassage des objets (souvent jolis mais foncièrement inutiles), au nettoyage de l’eau sur la scène ou à amenuir l’éclairage pour cacher dans l’ombre les va-et-vient déconcentrants des techniciens.
Beaucoup de passages allongent les transitions, comme le clown qui ne fait jamais rire ou les longs moments de chant qui ne rendent pas justice à tout le travail de recherche de Simon Carpentier, du côté de la musique.
On retiendra donc de Luzia qu’il s’agit d’un spectacle qui s’est muté en symbiose parfaite pour l’ère des réseaux sociaux. De quoi nourrir grassement les Instagram et Tiktok de ce monde, via des clichés et des moments qui ont tout pour capter le regard. Sauf qu’un spectacle a besoin d’être un véritable tout cohérent pour captiver son auditoire, pas seulement des passages qu’on se forcera à apprécier par défaut.
4/10
Luzia du Cirque du Soleil est installé sous le Grand Chapiteau situé au Quai Jacques-Cartier du Vieux-Port de Montréal jusqu’au 24 août prochain.