En réunissant les personnages de ses deux plus récentes bandes dessinées dans un même récit, le scénariste et dessinateur Éric Stalner nous offre une suite surprenante qu’on ne savait même pas qu’on voulait, avec l’album Bertille & Lassiter.
Le bourru commissaire Louis Bertille et la jeune bourgeoise pétillante Bertille de Chavronnes des Argons se sont rencontrés par pur hasard dans les années 1920. Malgré des personnalités diamétralement opposées, ils ont fini par développer une belle complicité en élucidant ensemble le mystère entourant une énigmatique boule rouge tombée du ciel et grossissant à vue d’œil qui menaçait d’écraser la France, puis la Terre entière. S’étant fréquenté pendant pas moins de quatre décennies, le couple a fini par se marier, et après deux mois de lune de miel en Grèce, ils rentrent maintenant chez eux.
Dans le train qui les ramène, ils font la connaissance de Jonathan Lassiter, un Américain qui, suite à une nuit rocambolesque dans son Nebraska natal en compagnie d’un certain Edward, s’est expatrié en France avec un million de dollars en poche. Le couple ignore que leur nouvel ami est traqué par un dangereux gangster lorsque l’ancien policier vient à la rescousse du jeune homme en désarmant un bandit lancé à ses trousses. Intrigués, les Bertille invitent Jonathan dans leur manoir situé sur une île de Bretagne, mais rapidement, l’endroit est pris d’assaut par une bande de malfaiteurs. Heureusement, l’ex-commissaire a plus d’un tour dans son sac.
Bertille & Lassiter n’est pas la suite d’une, mais bien de deux bandes dessinées, soit Bertille & Bertille et 13 heures 17 dans la vie de Jonathan Lassiter. Il est donc préférable d’avoir lu ces albums au préalable pour apprécier pleinement cette nouvelle aventure. De prime abord, ces deux univers, séparés par quatre décennies et un océan, semblent ne rien avoir en commun, mais le scénariste et dessinateur Éric Stalner parvient à créer une agréable surprise en jumelant les personnages de ses deux œuvres précédentes dans une histoire conjointe, et en révélant plusieurs liens insoupçonnés entre ses protagonistes à mesure que l’intrigue progresse.
Jonathan Lassiter est un peu effacé dans ce récit, et l’accent est surtout placé sur les Bertille qui, en dépit de leurs cheveux blancs, partagent toujours la même complicité. Le scénario est mené de main de maître, et serti de dialogues bien ficelés. Avec son jeu du chat et de la souris dans un manoir rempli de souterrains et de passages secrets, Bertille & Lassiter propose un polar de la vieille école sans aucune ambiguïté morale, teinté d’une petite touche de fantastique. La mystérieuse boule rouge de Bertille & Bertille effectue un retour, mais même si on apprend quelques informations supplémentaires à son sujet, Stalner ne tente pas d’expliquer sa provenance ou sa raison d’être.
Avec près d’une centaine de bandes dessinées à son actif depuis 1988, Éric Stalner est un illustrateur accompli en pleine possession de ses moyens. Ses dessins dans Bertille & Lassiter sont extrêmement soignés, et regorgent de détails les rendant encore plus riches. En plus d’un découpage très cinématographique de l’action, l’artiste croque avec le même talent les paysages hivernaux que les visages immensément expressifs de ses personnages, et ses bandits arborent des mines patibulaires à souhait. Les planches sont colorées en sépia, avec seulement quelques objets ponctués de rouge (un panneau de circulation, une écharpe, la coque d’un bateau, la mystérieuse boule, des taches de sang, etc.), ce qui donne un style visuel unique à l’album.
Si les « crossovers » sont assez courants dans les comics américains, Bertille & Lassiter prouve qu’ils peuvent aussi avoir leur place dans la bande dessinée franco-belge, et si vous avez apprécié Bertille & Bertille et 13 heures 17 dans la vie de Jonathan Lassiter, cette suite inattendue saura vous surprendre, et vous charmer.
Bertille & Lassiter, de Éric Stalner. Publié aux éditions Grand Angle, 96 pages.