La relation avec la série Men of War est… difficile. Avec un premier titre sorti en 2008 (après deux autres jeux qui s’inscrivent officiellement dans la franchise) et une série d’expansions et autres titres indépendants, voilà que ce jeu combinant à la fois stratégie, grande stratégie et tactique a droit à une deuxième déclinaison officielle. Et si l’on peut certainement en apprécier certains aspects, il y a lieu de se demander si notre intérêt n’était pas alimenté par des aspects factices.
Après avoir exploré la guerre du Vietnam et la Guerre froide, nous voici fermement de retour dans l’univers mieux connu (et mieux apprécié?) de la Deuxième Guerre mondiale. Le développeur ukrainien Best Way, épaulé par l’éditeur Fulcrum Publishing, dépoussièrent donc les Soviétiques, les Américains et les Allemands pour faire de nouveau résonner les canons et les mitraillettes sur les champs de bataille du Vieux Continent.
Sur papier, la formule de Men of War est franchement intéressante: gérer des batailles à grand déploiement, oui, avec des chars, des fantassins, de l’artillerie, des avions de reconnaissance et de combat… Mais aussi gérer des escarmouches, en ayant l’opportunité, si on le souhaite, de contrôler individuellement chaque soldat pour lui dire, par exemple, de creuser une tranchée ici, de plante une mine là.
Ce souci du détail va aussi jusqu’au point de gérer les dégâts encaissés par des véhicules; un char pourra bel et bien perdre une chenille, voir son canon être endommagé, perdre son commandant, etc. Et oui, dans certains cas, il sera possible de réparer lesdits dégâts, ou encore d’envoyer un fantassin remplacer, au pied levé, un membre d’équipage tué.
Tout cela est fort intéressant, mais cette myriade d’options tactiques – y compris la gestion de l’inventaire des soldats individuels! – contraste profondément avec l’aspect « conflit multifacettes » que le jeu met de l’avant. Impossible, comme dans une vraie guerre, de s’occuper de chaque fantassin ou de chaque blindé si l’on doit gérer une contre-attaque furieuse des Allemands, sous un déluge d’artillerie, et alors que nos positions défensives se font tailler en pièces.

Un « ami » qui vous veut du bien
Pour tenter d’équilibrer les choses, Men of War II propose une solution qui n’en est pas une: l’ajout d’une intelligence artificielle qui fera office de compagnon pour les joueurs solo. Cette solution n’en est pas une, en effet, parce que votre allié numérique est un peu idiot, se contentant de faire le strict minimum. Pas question de lancer de grands assauts, par exemple, ou d’établir un véritable réseau défensif. Les soldats de cet « ami » serviront essentiellement de chair à canon, dans un contexte où le nombre d’unités disponibles sera largement limité.
N’espérez donc pas faire débouler des dizaines de chars et des centaines de soldats pour tenter d’écraser l’ennemi sous le nombre. Il faudra plutôt faire preuve de stratégie. Ce qui n’est certainement pas une mauvaise chose, même si l’adversaire semble parfois disposer de renforts en nombre illimité.
De fait, Men of War II est résolument un titre conçu pour être joué à plusieurs: à preuve, cet onglet multijoueurs sélectionné par défaut chaque fois qu’on lance le jeu. Et ces récompenses, après des missions en solo, qui ne seront accessibles qu’en partie à plusieurs. Ou encore cette idée de « réquisitionner un serveur local » lorsque l’on souhaite débuter une mission et jouer directement contre l’ordinateur.
Dans cette perspective, pourquoi offrir un mode campagne, malgré tout? Red Alert 3 avait déjà tenté le coup, avec des missions conçues pour être jouées en mode coopératif, et s’il ne s’agissait probablement pas du pire aspect de ce titre, sentir qu’on nous force la main n’est jamais une chose agréable.
Et pourtant, c’est ce que semblent vouloir faire Best Way et Fulcrum. Ultimement, on pourrait sans trop de problèmes accepter ce recentrage, ce pivot vers le multijoueurs. Il y a lieu de se demander de ce qui arrivera de ce service, et donc de l’attrait principal du jeu, lorsque les serveurs de l’entreprise seront inévitablement éteints, mais il s’agit d’un aspect hélas omniprésent, en cette ère de « jeux toujours connectés ».

Un titre incomplet
Non, le plus grand problème de Men of War II, c’est que le jeu n’était clairement pas prêt, lors de son lancement. Si ce journaliste n’a pas rencontré de bogues provoquant un plantage du jeu, lors de sa période d’essai, il a, en revanche, amplement le temps d’éprouver une forte frustration envers des aspects qui devraient pourtant être maîtrisés depuis belle lurette.
Ainsi, non seulement l’interface est-elle absconse, gérer sa liste d’unités, en déverrouiller de nouvelles et recruter des forces supplémentaires tient davantage de la sorcellerie et du hasard que de la méthode éprouvée. Par exemple, pourquoi proposer au moins deux types de points d’expérience? Est-ce parce que l’on veut nous proposer des microtransactions?
Et pourquoi, sur le champ de bataille, ne peut-on pas créer des groupes en appuyant sur la touche contrôle et un chiffre, comme dans tous les autres jeux de stratégie en temps réel?
Et pourquoi, bon sang, pourquoi offrir des niveaux complexes, avec certains décors destructibles et la possibilité de construire ses propres fortifications, si nos unités s’avèrent incapables d’y circuler? Dans l’une des premières missions du camp américain, deux camions traînant des canons et ayant reçu l’ordre de rejoindre la ligne de contact ont décidé, pour une raison inconnue, de s’empêtrer dans une tranchée et de faire exploser leur chargement, détruisant non seulement l’artillerie, mais aussi les soldats qui devaient en assurer le fonctionnement.
Les exemples de ce genre de comportement sont multiples: unités qui se perdent; unités qui décident d’escalader des rochers et de s’y empêtrer; unités qui, lorsqu’elles reçoivent l’ordre de franchir un pont, cherchent d’abord à prendre un bain… La chose serait rigolote si elle n’était pas aussi absurdes.
Grevé par des problèmes d’interface, ralenti par une intelligence artificielle qui semble activement nous mettre des bâtons dans les roues, incapable de se brancher entre le mode solo et le mode multijoueurs, Men of War II a clairement encore besoin d’amour. De beaucoup d’amour. Et c’est dommage. Parce que lorsque les astres sont alignés, la guerre en devient presque agréable.
Men of War II
Développeur: Best Way
Éditeur: Fulcrum Publishing
Plateforme: Windows, Linux (testé sur Windows/Steam)
Jeu disponible en français (interface et sous-titres)