Créer votre propre entreprise dans votre garage et programmer des jeux vidéo pour tenter de percer sur le marché est une prémisse vidéoludique bien connue. Enfin, certainement bien connue du groupe de gens se trouvant au confluent de deux intérêts convergents, c’est-à-dire les amateurs de l’industrie des jeux vidéo et ceux qui se passionnent pour les jeux de gestion. Cela tombe bien, Software, Inc. propose une formule similaire, mais carrément dopée aux stéroïdes. Et le résultat est aussi bluffant que potentiellement frustrant.
Développé et publié par Coredumping, un studio ne comptant qu’une seule personne (!), Software Inc., en accès anticipé depuis 2015, place le joueur dans la peau d’une personne à tout faire, en 1980, vers les débuts de l’ère de la commercialisation de l’informatique. Avec, comme objectif… avec quel objectif, au fait? On peut certainement tenter de devenir une multinationale accumulant les milliards, le Microsoft, le Apple ou le Google de ce monde virtuel, comme il est tout à fait possible de s’en tenir à un rôle de développeur mineur, lançant un logiciel ou un jeu ici et là. Ou encore de devenir l’éditeur par excellence. Ou encore…
Ce qui frappe, en effet, lorsqu’on lance une première partie de Software, Inc., c’est la gigantesque complexité du titre. Non pas que le principe de base soit particulièrement obscur: si l’on s’en tient au concept principal, soit celui de développer des logiciels, il s’agit « simplement » d’attendre qu’une barre de progression se remplisse, par exemple en concevant une première version d’un programme informatique, puis de passer en version alpha, de corriger les bogues en version beta, puis de mettre le tout en marché.
Mais là encore, le diable est dans les détails, comme le veut l’expression. Quelles fonctionnalités veut-on offrir, dans ce programme en question? Il faudra s’assurer d’avoir non seulement les capacités techniques pour développer un produit de qualité, mais aussi les fonds pour couvrir les dépenses encourues pendant la période de conception et de production, qui peut souvent s’étaler sur des années. A-t-on pensé à la concurrence? À la publicité? Aux imprévus comme les vacances et les congés de maladie? Ou à des aspects plus pointus comme la saturation du marché?
Software, Inc., c’est aussi un simulateur de ressources humaines, chaque employé nécessitant non seulement un salaire, mais disposant aussi de traits de personnalité qui auront un effet sur sa productivité, ainsi que sur ses collègues. Installez deux employés incompatibles côte à côte, et vous perdrez en productivité. Négligez de répondre aux besoins de vos travailleurs, et ceux-ci finiront par quitter. Et si vous avez le congédiement un peu trop facile, le mot circulera et il vous sera très difficile de recruter. Idem pour les périodes de crunch, ces moments où les employés doivent travailler encore plus dur pour assurer qu’un projet soit complété dans les temps: il faudra habituellement plusieurs mois pour que les gens affectés s’en remettent.
Comme si cela n’était pas suffisant, il faut aussi s’assurer que les employés puissent manger à leur faim, à l’intérieur des bureaux. Sans oublier, lorsque votre compagnie prendra de l’expansion, la nécessité de produire, dans un délai de trois mois, un rapport d’impôts qui entraînera aussi le versement de sommes potentiellement très importantes, en fonction de vos profits de l’année précédente.
Vous en voulez encore? Vous ne souhaitez pas être un simple locataire? Devenez propriétaire et construisez votre propre immeuble à la campagne, en banlieue ou en ville, chaque environnement étant accompagné de ses avantages et inconvénients. Vous pourrez même vous mettre à fabriquer vous-même vos propres produits, qu’il s’agisse de CDs, de périphériques, de téléphones…
Vous pouvez aussi, si le coeur vous en dit, passer votre temps à racheter les produits des autres entreprises, histoire de les rééditer et de les vendre à plus bas prix. Ou encore investir en achetant les actions des compagnies rivales. On trouve même des mécaniques de jeu liées à l’achat de métaux précieux en lien avec le blanchiment d’argent, afin de payer moins d’impôts. Mais gare aux inspecteurs du fisc!
Trop de choix?
Il est incroyable de constater que tous ces systèmes, toutes ces possibilités, tous ces détails découlent du travail d’une seule personne. Il s’agit clairement d’un tour de force.
Cela étant dit, Software, Inc. ne vous prendra jamais par la main. Vous commencez une partie et vous effectuez les mauvais choix pour votre premier projet? C’est la faillite qui vous guette. Et ces erreurs sont faciles à commettre: la mauvaise cache cochée lors du développement d’un logiciel, le mauvais nombre de copies commandées pour un produit, etc.
On se permettra aussi de critiquer l’étrange gestion de la visibilité, dans ce jeu. Puisqu’il faut se faire connaître du public, et que cette reconnaissance passe notamment par l’espace occupé dans les médias, pourquoi a-t-on choisi de faire en sorte que la préparation de communiqués de presse nécessite parfois plusieurs mois de travail? Et pourquoi une compagnie qui vend plusieurs centaines de milliers de copies d’un titre est encore critiquée comme étant inconnue? Et pourquoi ce manque de reconnaissance est-il jugé comme étant un facteur négatif lorsque vient le temps d’évaluer un produit?
Extrêmement ambitieux, particulièrement complet (et complexe), Software Inc. est un excellent jeu qui agira comme une dose de drogue directement injectée dans les veines des amateurs du genre. Il est seulement dommage qu’en voulant ajouter toujours plus de couches de mécaniques, on a sacrifié une partie de la jouabilité.
Software, Inc.
Développeur et éditeur: Coredumping
Plateformes: Windows, Linus, MacOS (testé sur Windows/Steam)
Jeu non disponible en français