Robert Lepage ne fait jamais les choses à moitié. Lorsqu’il a une idée, grandiose si possible, il la met à exécution et l’offre à son public. Courville, présenté au TNM, ne déroge pas à cette règle. Sur le thème des affres de l’adolescence, Lepage livre une fresque historique et intimiste autour d’un jeune Québécois de 17 ans en 1975, et fait défiler pour nous l’histoire du monde, du Québec et de Courville dans une tragédie quasi shakespearienne, avec en toile de fond le personnage d’Hamlet.
La pièce est un solo interprété par Olivier Normand, le narrateur de l’histoire qui se souvient de son adolescence difficile. Mais pour le spectateur, une multitude de personnages interviennent. Olivier Normand prête sa voix et ses accents à des poupées quasi grandeur nature, des marionnettes animées par lui et trois marionnettistes qui donnent vie et émotion à tous ces personnages entourant le protagoniste principal.
Courville est à l’époque une banlieue tranquille de Québec, près des chutes de Montmorency qui constituent un lieu d’évasion et de baignade. Le père de Simon vient d’être emporté par un cancer provoqué par la fumée secondaire de sa mère fumeuse. L’oncle s’est installé dans leur maison, dans la chambre de Simon et probablement dans le lit de la veuve.
Sophie, une jeune anglophone, est amoureuse de Simon. Lui est davantage attiré par Matthieu, le maître-nageur musclé qui lui fait penser à des sculptures grecques. Simon deviendra d’ailleurs sculpteur. Mais avant cela, il traine une blessure profonde, un tatouage involontaire qui s’est imprimé sur sa poitrine quand il avait huit ans et qui l’empêche de montrer son torse nu et de retirer son tee-shirt.
Les conflits psychiques de Simon sont nombreux, en plus de ceux que rencontre tout adolescent dans cette période compliquée de la vie où les amis, les parents, la découverte de la sexualité et les interrogations sur ce qu’on veut faire de sa vie se bousculent. Être ou ne pas être. La question n’est pas directement posée ainsi, mais Simon vivra un peu le destin de Hamlet avec son lot de découvertes, de trahisons et de malheurs.
Sur fond des musiques de l’époque, le rythme de la pièce est relativement lent. Il s’adapte à l’ambiance de cette petite banlieue de Courville où la vie s’organise autour de l’école, du bar, de l’église, des actualités télévisées de l’époque et des sorties au bord de l’eau.
Mais ce qui est totalement époustouflant, c’est la qualité de la scénographie et des décors, leurs transformations, l’ingéniosité qu’il y a à transporter le spectateur dans tant de situations différentes par le jeu d’un immense caisson en plan incliné où l’on passe presque instantanément du sous-sol où vit et dort Simon aux autres lieux qu’il fréquente. Ainsi, la piscine, la bibliothèque du notaire, l’église, l’école, le cabinet médical, les autres pièces de la maison, l’Arena et tant d’autres lieux. Le spectateur en a plein les yeux, et la grâce de ces grandes poupées animées produit un spectacle totalement magique, dont on suit bien le récit touchant et parfaitement construit.
Courville s’inscrit bien dans la lignée des grands spectacles solo de Robert Lepage, avec toute la beauté, l’émotion et l’intelligence qui s’y rattachent.
Courville
De Robert Lepage
Ex-Machina
Conception et direction de création: Steve Blanchet
Décor: Ariane Sauvé
Costumes: Virginie Leclerc
Éclairages: Nicolas Descôteaux
Musique originale: Mathieu Doyon
Marionnettes: Jean-Guy White, Céline White
Avec Olivier Normand, Wellesley Robertson III, Caroline Tanguay et Martin Vaillancourt
Courville, du 12 septembre au 1 octobre 2023 au TNM, à Montréal