Tout de suite après la création des premières bombes atomiques, Ted Hall voit ses doutes prendre de l’ampleur. Très jeune spécialiste en physique recruté à 18 ans, à peine, pour travailler au Projet Manhattan, il deviendra l’un des espions qui permettront à l’Union soviétique, à l’époque, de concevoir ses propres armes nucléaires.
Réalisé par Steve James, A Compassionate Spy sort au Québec à un bien drôle de moment… Ou est-ce plutôt au moment parfait, alors qu’Oppenheimer, le film sur le plus célèbre des architectes du Projet Manhattan, est encore à l’affiche? Cette fois, pas question de film en IMAX avec orchestration. Le film est en fait un documentaire sur la vie de Hall, mais surtout sur son choix. Son choix, oui, de collaborer avec l’URSS, tout de suite après la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
S’il n’était pas le seul à avoir « trahi » et transmis des secrets, il fera partie de ceux qui réussiront à dissimuler leurs accomplissements jusqu’après leur mort. C’est d’ailleurs après la mort de notre protagoniste, en 1999, que ses gestes seront dévoilés dans un livre écrit par le fils de son meilleur ami, lui aussi employé par l’armée américaine pour concevoir la bombe, et avec qui il ira contacter les Soviétiques.
Pourquoi Ted Hall a-t-il offert certains secrets atomiques? Pour lui, ce n’est pas une question d’idéologie, ou encore d’argent, mais plutôt une question d’équité, d’équilibre des forces. Déjà sidéré, a posteriori, que les Américains aient bombardé Hiroshima et Nagasaki, il est encore plus remonté contre l’idée que Washington soit la seule capitale mondiale possédant cet engin ultime, dont un contrôle unilatéral permettrait de déclencher une Troisième Guerre mondiale, cette fois avec l’ancien allié qu’était l’URSS, et d’espérer la gagner, tout en réduisant le territoire russe à un désert radioactif.
Quel impact sur l’histoire du monde?
En offrant la bombe à Staline, Ted Hall, comme le principal intéressé, dans des images d’entrevues d’avant la fin du siècle dernier, mais comme l’indique aussi sa veuve, rencontrée plus récemment, espérait donc éviter l’apocalypse nucléaire. Objectif atteint, certes, mais à quel prix? Cet équilibre de la terreur, cette destruction mutuelle assurée, aura certes permis d’éviter une Troisième Guerre mondiale, mais on ne compte plus les tensions, les crises politiques, ou encore les guerres par proxy, un peu partout sur la planète, où l’Ouest et l’Est s’affronteront, sans risquer d’en arriver à une guerre directe.
Encore aujourd’hui, d’ailleurs, l’Occident et la Russie se livrent une guerre, en quelque sorte, sur le territoire ukrainien, mais sans combats directs.
Personne n’osera dire que sans Ted Hall, l’URSS n’aurait jamais développé la bombe, mais il est tout aussi impossible d’écrire ce qui se serait passé si le jeune chercheur s’était abstenu, à l’époque.
L’histoire de cet homme, mais aussi de sa femme, Joan, ainsi que de leurs enfants, est aussi celle d’une certaine naïveté, face au régime stalinien. Aucun des deux camps n’est innocent, après tout, dans cette histoire, qu’il s’agisse des Américains ou des Soviétiques. Mais face au dogmatisme, Ted Hall a su prendre un pas de recul et réfléchir à ce qui semblait être, selon lui, la meilleure option dans un monde chaotique et lancé sur la voie de l’annihilation.
On passera peut-être sur les scènes dramatiques reconstituées, un peu trop nombreuses et un peu trop mal tournées et jouées pour leur propre bien, mais celles-ci ne sont pas si pires qu’elles torpillent le reste du film.
Documentaire qui est non seulement touchant, mais qui fait aussi réfléchir, A Compassionate Spy serait, en quelque sorte, le compagnon idéal d’Oppenheimer. Car au-delà du visuel et de l’esbrouffe, il y a de véritables questions morales et éthiques qui sont toujours d’actualité, aujourd’hui.
Le film est présenté au Cinéma du Parc, à Montréal.