La quasi-totalité des jeux vidéo publiés jusqu’en 2009 n’existent plus que sous forme de cassettes, de disquettes ou de CD-ROM, quand ils ne sont pas complètement disparus dans un brouillard numérique, après avoir été retirés des plateformes de vente en ligne, ou après la fermeture de celles-ci.
Voilà le dur constat d’une nouvelle étude de la Video Game History Foundation, à propos des titres lancés aux États-Unis, des débuts de l’industrie des jeux vidéo à l’année 2009. Ainsi, un grand total de 87 % de ces jeux seraient aujourd’hui introuvables, et ne seraient dont pas disponibles sur le marché, principalement sous la forme d’une version entièrement numérique offerte sur les plateformes en ligne, comme Steam ou GOG.
Les auteurs des travaux précisent par ailleurs qu’à aucun moment, dans les diverses périodes de l’histoire récente étudiées en vue de la publication du rapport, le taux de préservation des jeux a dépassé les 20 %.
De fait, écrit-on dans le document, « pour accéder à près de 9 jeux classiques sur 10, il existe peu d’options: chercher et entretenir des jeux et du matériel électronique d’époque, voyager pour visiter une bibliothèque, ou le piratage. Aucune de ces options n’est souhaitable, ce qui signifie que la plupart des jeux sont inaccessibles sauf pour les amateurs les plus passionnés ».
De l’avis des auteurs de l’étude, c’est là où les bibliothèques devraient entrer en scène. « Tout le monde devrait pouvoir être en mesure de facilement explorer, rechercher et jouer à des jeux vidéo plus anciens, de la même façon qu’il est possible de lire des romans classiques, écouter des albums de musique qui ont fait leur marque, ou encore regarder des films. Mais des lois sur le copyright dépassées empêchent des institutions comme la nôtre de faire notre travail », dénonce-t-on.
Au total, 1500 jeux ont été examinés, notamment des titres publiés sur trois plateformes suscitant aujourd’hui un niveau variable d’intérêt commercial, soit le Commodore 64, le Game Boy et la PlayStation 2 – cette dernière est jugée comme étant toujours un « écosystème actif » entraînant une « importante activité de recommercialisation » de la part de plusieurs entreprises.
C’est d’ailleurs du côté de la PS2 que l’on trouve le plus grand nombre de jeux encore disponibles entre les trois consoles, soit 12 % des 400 jeux examinés.
Sans surprise, les jeux plus anciens, ou encore ceux dont le potentiel commercial est le moins important, sont les titres ayant le moins de chances de faire l’objet d’une réimpression.
Des profits à protéger?
Et qui faut-il blâmer, pour cette situation? Les auteurs du rapport accusent les lobbyistes de l’industrie du jeu vidéo de bloquer systématiquement toutes les démarches pour faciliter la préservation des titres plus anciens.
Est-ce pour protéger la marge de profit des éditeurs dans une industrie évaluée à 180 milliards de dollars, à l’échelle mondiale, dont la moitié aux États-Unis? Au-delà des défis techniques (vieux formats, pièces authentiques difficiles à se procurer, savoir-faire disparu, etc.), les auteurs de l’étude écrivent que l’industrie continue de résister aux démarches pour faciliter la transposition de titres sur des consoles plus récentes à l’aide de l’émulation, une technologique largement accessible, mais qui est vilipendée par les gros joueurs de l’industrie en raison de son association au piratage… Un piratage qui, peut-on deviner, est rendu plus intéressant, aux yeux des joueurs, en raison de cette difficulté d’accès aux titres, justement.
La Video Game History Foundation s’en prend aussi aux dispositions du Digitial Millenium Copyright Act, une loi qui impose d’importantes restrictions sur l’accessibilité des titres numériques.
La solution ne semble pas non plus passer par les boutiques en ligne. Du moins, pas pour l’instant: les auteurs de l’étude affirment que « l’instabilité à long terme des plateformes de distribution numérique » fait en sorte que les jeux disparaissent fréquemment dans le néant, particulièrement « pour des écosystèmes où les sources de recommercialisation sont peu nombreuses ».
Ainsi, on peut lire que 6,5 % de la bibliothèque de titres du Game Boy était précédemment disponible seulement via la boutique en ligne de Nintendo, sur les consoles Wii U et 3DS. « Mais depuis la fermeture de ces services, en mars 2023, ces jeux ne sont plus disponibles sur aucune plateforme », à moins d’avoir un Game Boy et les cartouches originales sous la main, ce qui dépend de leur disponibilité, ainsi que de la région du globe où ces jeux ont été mis en vente, entre autres facteurs.
Et la situation n’est pas vraiment mieux du côté de consoles plus récentes, comme la PS3 et la PS Vita, « où les boutiques en ligne, toujours actives, ont connu une telle dégradation du service offert que les utilisateurs sont incapables d’acheter des titres qui sont encore, techniquement, commercialement disponibles ».
Les auteurs de l’étude ne se sont toutefois pas penchés sur le marché des jeux pour PC, où il existe certains efforts de préservation, notamment avec des boutiques en ligne spécialisées comme GOG et Zoom Platform, en plus de titres « classiques » vendus sur d’autres plateformes, comme Steam, Origin, etc. Là aussi, les démarches ne sont pas toujours couronnées de succès, et il ne fait aucun doute que des milliers de titres ne sont plus accessibles, sans compter tous les jeux massivement multijoueurs dont les serveurs ont été éteints il y a belle lurette.